Numéro Spécial: Contre-enquête sur les dessous de la militarisation de Belleville

Martin Lewis - Glow of the city, 1929Tout le monde l’aura remarqué, depuis un peu plus d’un an, Belleville est occupé par la police sous toutes ses formes (de nouvelles brigades ont même été spécialement créées). L’État a fait du quartier un laboratoire expérimental en matière de maintien de l’ordre et de répression, prenant pour prétexte diverses revendications citoyennes (contre le marché sauvage, pour répondre au sentiment d’insécurité de la dite « communauté chinoise » etc.).
Ce numéro de Lucioles est donc un numéro spécial puisqu’il n’est composé que d’un seul texte, une contre-enquête sur le processus et les rouages de cette militarisation des quartiers Belleville/Couronnes/Ménilmontant. Nous avons voulu, plus d’un an après la manifestation réactionnaire pour la sécurité du 20 juin 2010 (qui fut ponctuée d’émeutes et de lynchages racistes), aller voir de plus prés les tenants et les aboutissants de ce véritable raz-de-marée policier ; avec l’idée en tête d’exposer au grand jour quelques-uns des principaux acteurs et responsables de cette offensive sécuritaire et pacificatrice, afin que les choses soient claires et que chacun puisse savoir à qui il a à faire pour mieux s’y opposer. Avec la volonté aussi, de tracer une frontière bien nette entre d’un côté les divers vautours (associations de commerçants, citoyens zélés et coalisés, lèches-cul politiciens) et leur armada d’uniformes en tout genre, et de l’autre des individus las de supporter ce monde où fric, travail et flics riment avec misère et exploitation, contrôle et enfermement ; avec la certitude ensuite que les tentatives de pacification sociale que nous observons et que nous subissons de plein fouet, même si elles se développent dans le contexte spécifique bellevillois, se retrouvent un peu partout ailleurs, avec plus ou moins d’intensité. Comme partout ailleurs leur meilleur des mondes démocratique est lui aussi critiqué en acte de manière brûlante comme viennent de nous le rappeler avec brio les émeutes en Angleterre.
Parce que nous avons le sentiment que ni leurs flics, ni leur guerre aux pauvres accompagnée du label « mixité sociale », ni leurs caméras de surveillance, ni les divers replis communautaires et autoritaires, ni les éventuelles milices citoyennes ne suffiront à étouffer la rage qui couve, prête à éclater à tout moment.

Pour une guerre sociale qui porte en son sein la liberté pour tous, contre leur rêve macabre de sécurité pour tous. Bonne lecture…

Quelques participants de Lucioles.

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Une vague qui ne s’arrête pas…

« C’est étonnant combien les honnêtes gens ont une connaissance parfaite de la saloperie. »
Louis Scutenaire.

Il y a un peu plus d’un an, le 20 juin 2010, avait lieu à Belleville une manifestation pour la « sécurité », organisée par diverses associations censées représenter la « communauté asiatique » pour demander aux autorités le renforcement de l’arsenal répressif local (plus de flics, de caméras, de sanctions etc.). Il s’agissait notamment de protester contre des agressions et vols subis par la dite « communauté asiatique ». Durant cette manifestation, des échauffourées avaient éclaté dans le quartier entre des centaines de manifestants et la police, accusée de mal faire son travail, puis après le départ programmé de celle-ci, contre quelques gamins isolés et identifiés par la vindicte populaire comme des « voleurs » à punir par des critères tels que la tenue vestimentaire et la couleur de peau, en somme, un véritable lynchage raciste en plein Paris. Nous avons, suite à cette manifestation et à tout ce qu’elle implique de grave à nos yeux, beaucoup discuté, écrit, réfléchi sur le sujet. Une tempête de discussions qui se matérialisèrent alors sous la forme d’une brochure (que l’on peut toujours se procurer en nous contactant) intitulée Retour sur la récente flambée sécuritaire, réactionnaire et raciste à Belleville, (Témoignages, textes et analyses collectés, recueillis et diffusés par des anarchistes du quartier pour que ce genre de choses n’arrivent plus et pour que d’autres émergent). En quelque sorte, le texte que vous vous apprêtez à lire, en est la suite, un peu plus d’un an plus tard.

En cette année 2011, les mêmes revendications sécuritaires sur fond de tensions communautaires et d’arrière-pensées réactionnaires se sont encore exprimées en pleine rue. Pour éviter les « débordements » de la fois précédente, l’itinéraire proposé par la préfecture de police (de République à Nation) a offert à ces revendications plus d’espace que l’an dernier, puisqu’elles avaient été confinées entre Belleville et Colonel-Fabien où avait éclaté les émeutes et les passages à tabac. Cette fois-ci donc, pas d’émeute ni d’attaques ciblées à caractère raciste, « ouf ! », se dira-t-on… Mais pas de quoi se réjouir pour autant puisque rien ne s’est arrangé depuis, au contraire. Jamais les esprits souffrant de paranoïa sécuritaire peuplant Belleville n’ont pu se repaître d’une situation aussi brutalement policière dans le quartier.

Comme nous en parlions dans le précèdent numéro, Belleville n’a jamais autant été militarisée qu’en cette année 2011. Les flics sont partout, avec ou sans uniformes, CRS, BAC, superBAC, BST, Police Nationale, correspondants de nuit, contrôleurs, GPSR, GPIS, BAPSA, agents de sécurité de la mairie… Ils sont partout, imposant leur présence par des arrestations massives, des mauvais regards d’intimidation, des contrôles au faciès incessants, des rafles de sans-papiers, des contrôles de tickets dans le métro, des tabassages ciblés, des insultes. Autant dire que pour les pauvres du quartier, qu’ils soient d’origine asiatique ou non, Belleville sous occupation policière est réellement devenu un îlot d’insécurité permanente.

Pour rappel, ces deux manifestations « pour la sécurité » partent d’un constat que nous ne souhaitons pas nier et que nous partageons. Les asiatiques, à Belleville comme ailleurs en France, subissent, comme toutes les autres vagues d’immigration, le racisme latent d’une bonne partie de la population (immigrée ou non), et personne ne s’en cache réellement. Des clichés tels que celui qui voudrait que les chinois soient tous de riches commerçants se baladant systématiquement avec des liasses de billets plein les poches sont assez répandus pour que certains n’hésitent pas à les braquer indistinctement. Certains alimentent volontiers ce genre de clichés, comme le prouve cette phrase de Patrick Huang, gérant du bar-tabac Le Celtic et vice-président de L’Association des Commerçants Bellevillois : « Les Asiatiques et surtout les commerçants sont particulièrement ciblés car ils ont souvent de l’argent liquide sur eux. Aujourd’hui, vous voyez rarement un Chinois payer en chèque ou en carte bleue. C’est culturel. » Nous insistons sur le mot « indistinctement », parce que nous n’avons pas de position de principe sur le fait de voler les riches, cela nous paraît tout simplement logique dans un système basé sur l’inégalité et le fric. En revanche, les pauvres qui se braquent entre eux ne font que renforcer un peu plus la guerre de tous contre tous là où nous aimerions voir de la guerre sociale.

Pour schématiser, le problème n’est pas qu’il y ai des « chinois », des « noirs », des « arabes », des « françaouis » et autres catégories imaginaires, le problème n’est pas non plus que des riches, asiatiques ou non, soient volés par des pauvres, arabes et noirs ou non ; comme nous n’avons jamais cessé de le répéter, le problème c’est pas le vol, c’est le fric, c’est pas les voleurs, c’est les flics. Que la dite « communauté asiatique » subisse diverses formes de racisme est inacceptable ; qu’une poignée de politiciens en herbe ou confirmés se présentant comme ses représentants et se constitue sous forme de lobby pour souffler aux oreilles de l’Etat de renforcer chaque jour un peu plus l’occupation policière du quartier, assistée en cela par les mairies socialistes des XIXe, XXe et XIe arrondissements, ne doit pas être accepté, bien qu’il n’y ait rien de si étonnant à tout cela.

Précisons tout de même, à titre d’éclairage, que deux organismes ont discrètement déposé leurs statuts cette année : le Conseil représentatif des associations asiatiques de France (CRAAF) et le Conseil national des asiatiques de France (CNAF). Précisons aussi que le fondateur du CRAAF, Chenva Tieu, vient d’être nommé secrétaire national de l’UMP aux affaires étrangères en charge de l’Asie.

Mais revenons à nos moutons. En fait, « communauté asiatique » est un terme qui sonne bien creux… Déjà, qu’est-ce qu’ont en commun des milliers de personnes différentes que l’on réduit sous ce terme, venant de centaines de régions différentes d’Asie ? Il faut avoir déjà intégré le principe raciste pour parler de « communauté asiatique » comme d’un tout homogène et univoque. De plus, la « communauté asiatique », du moins sa représentation officielle, c’est-à-dire les personnes qui organisent ces manifestations nauséabondes, n’est composée que de la petite-bourgeoisie asiatique locale, de petits patrons et commerçants qui ont réussit grâce à l’exploitation intensive des pauvres de cette même communauté qu’ils sont censés défendre. Ironie du sort ? Pas vraiment, non. Dans une même « communauté », il y a moins de choses en commun entre un pauvre d’origine asiatique révolté contre son sort et un patron de la même origine, qu’entre ce même pauvre et un autre pauvre révolté à l’autre bout du monde, malgré la langue et les frontières. Aussi, le terme « communauté asiatique », regroupe aussi bien des patrons que des exploités, des sans-papiers et des avec-papiers, des riches et des pauvres, des rebelles et des honnêtes-gens, des « délinquants » et des flics. Peut-on juste imaginer qu’il puisse exister une homogénéité entre tout ce beau monde ?
Cela n’empêche pas pourtant, à l’occasion de ces manifestations réunissant des milliers de personnes de voir se mélanger patrons et exploités, pauvres et riches, pour différentes raisons, qu’elles soient liées à l’adhésion aux mots d’ordres réactionnaires ou par pur chantage communautaire.

Cette manifestation, précisément comme la première, utilisait pour prétexte une agression récente -pour laisser paraître un semblant de spontanéité- cette fois-ci devant le restaurant le Nouveau Palais de Belleville le 29 mai 2011. L’homme est aujourd’hui encore dans le coma. En mettant explicitement en avant l’origine asiatique de la victime, et implicitement l’origine supposée des agresseurs, les organisateurs de cette manifestation savent très bien où ils vont, bien qu’ils ne se rendent peut-être pas compte de jusqu’où tout cela pourrait aller.

Mercredi 15 juin, une trentaine de patrons de commerces et de représentants d’associations chinoises du quartier se sont retrouvés au Nouveau Palais pour organiser une manifestation contre les vols et les violences comme l’année passée, en présence d’Hammou Bouakkaz (Adjoint au maire de Paris en charge de la vie associative, comprendre distributeur officiel de subventions pour associations rapaces), de Jean-Claude Beaujour (Vice-pdt de la fédération de Paris au Parti radical et candidat UMP aux élections municipales dans le XXe et législatives dans la 6e circonscription) et de représentants du commissariat de police du XXe [PHOTO]. Au cours de la réunion, les participants ont insisté sur l’importance de « mobiliser tous les Parisiens et de ne pas tomber dans le repli communautaire » (sic). Tout de suite, des milliers de tracts sont diffusés, en chinois uniquement, raté pour le repli communautaire. l’Association Chinoise pour le Progrès des Citoyens (ACPC), par exemple, appelle sur son site internet, « toutes les personnes ayant été rackettées, blessées ou toutes les personnes voulant la paix, chinoises ou non, à venir les rejoindre ». L’ACPC, présidée par Hahen Yang, est une des plus impliquées dans l’initiative de ce nouveau rassemblement sécuritaire. L’association, qui possède un local au 14, rue Dénoyez [PHOTO] a pour but, si l’on en croit le Journal Officiel, « d’aider tous les Chinois à s’intégrer dans la société française ». Dans la famille de la mafia associative du business des subventions, on peut aussi citer Huiji, très représentative de ce dont nous discutons ici : prétendument « issue de la lutte des sans-papiers chinois », elle participa aux débats sur « l’identité nationale » organisés à la Préfecture et obtint en 2009 une habilitation pour une « enquête-médiation » sur l’insécurité.

Cependant, cette fois-ci, il y avait beaucoup moins d’associations, d’élus et de politiciens en tout genre pour participer à l’organisation de la manifestation. Il faut dire que côté chinois, la crainte de débordements racistes et la présence d’« éléments incontrôlables » dans le cortège de l’an dernier a sans doute joué dans la décision de ne pas s’impliquer, comme l’Association des Chinois résidant en France, surnommée parfois le « mini-consulat ». Selon la presse, des représentants de l’ambassade de Chine, peu désireux de voir dériver l’événement, auraient essayé de dissuader les organisateurs, et prévu un autre événement au même moment, avec un succès mitigé. Qui plus est, Pékin n’avait sans doute pas intérêt à participer à une manifestation qui risquait de donner lieu à des débordements racistes, au moment même où la Chine connaît un vent d’émeutes sociales massives à l’intérieur de ses frontières.

Le budget de l’événement, publié sur le site « Huarenjie » (en chinois), s’élèverait à 10 544 €. Un stock de petits drapeaux français sera distribué. Au moins trois camions, plusieurs sono, des mégaphones… Vingt-et-une personnes ont été recrutées pour assurer le service d’ordre et 300 casquettes ont été commandées pour les personnes chargées d’encadrer la manifestation et d’éviter les débordements alors que d’autres sont chargés de distribuer des sticker « sécurité pour tous » par milliers à coller sur les vêtements, et d’autres encore distribuent des visières à fleurs, bleues pour les garçons, roses pour les filles. Cela laisse un peu imaginer l’ambiance autour de ce cortège sur-défendu et gadgétisé.

L’extrême-droite identitaire et ouvertement fasciste n’a pas manqué de relayer le rendez-vous de cette manifestation par le biais de ses sites internet. On ne doute pas que le contenu politique de cette manifestation avait bien de quoi leur procurer quelques jouissances non-simulées. Résultat, une dizaine de nostalgiques de Pétain ont marché sur la capitale parmi les manifestants, sans que cela ne gêne personne, bien sûr.
Si on revient un peu en arrière, après l’émeute réactionnaire du 20 juin 2010, la préfecture n’a jamais cessé de prendre pour prétexte les revendications de la « communauté asiatique » pour inonder le quartier de flics. Michel Gaudin, le sinistre préfet de Paris, n’avait même pas attendu deux semaines après le retentissement de cette manifestation pour sortir un communiqué précisant : « nous avons maintenant dénombré 13 bandes ou groupes sensibles qui s’adonnent régulièrement à des actes de délinquance dans un périmètre proche de Belleville. Deux [bandes] sont situées dans le Xe, deux dans le XIe, trois dans le XIXe et six dans le XXe » avant d’ajouter que la PP allait inciter les victimes asiatiques à déposer plainte : « Nous avons déjà des documents qui sont en Chinois, nous allons faire un guide afin que ces personnes puissent accéder aux services de police ». Inutile de dire que la prison de la Santé n’a pas cessé de s’emplir d’une bonne partie de la jeunesse bellevilloise depuis. Inutile de dire aussi, que tout cela n’a fait que renforcer les replis communautaires et la haine de l’autre dans le quartier, quoi qu’en disent les fines bouches (radicales ou non), adeptes de la méthode Coué et préférant tout voir par le bout de la lorgnette idéologique que par leurs propres yeux.

Une brigade spécialisée de terrain (BST) de 25 hommes patrouille maintenant chaque jour entre 14 heures et 22h30 (cf. « BST : Ils seront toujours trop proches », dans Lucioles n°3, juin/juillet 2011), et les correspondants de nuit de la mairie de Paris, chargés de surveiller les zones chaudes, ont élargi leur territoire depuis janvier (cf. « Correspondants de nuit : des agents de proximité de la guerre aux pauvres » dans Lucioles n°1, novembre/décembre 2010). Sans oublier la maire PS du XXe, Frédérique Calandra, qui rappelle dans un communiqué de presse suite à l’agression, qu’elle réclame depuis des mois « des moyens supplémentaires à la Préfecture de police en termes de prévention et de sécurité pour l’ensemble des habitants de Belleville ». Elle regrette la « difficulté de communication avec la communauté chinoise » : « Cette année, nous n’avons pas été formellement invités à cette manifestation, et nous n’avons pas bien compris qui organisait. ». Puis, comme si ce n’était pas suffisant, en s’appuyant sur les déclarations de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, qui félicite l’efficacité des « patrouilleurs », elle « demande la mise en place immédiate d’un tel dispositif sur le quartier de Belleville. ». Ce monde est-il donc complètement fou ?

Outre les « agressions » et le « climat d’insécurité » dont se disent victimes les auto-proclamés portes-parole de la « communauté asiatique », il faut ici parler du marché sauvage de Belleville. Principal nœud de discorde dans le quartier depuis sa première installation il y a quelques années, et plus récemment, sa réinstallation massive durant l’été 2009, ce marché sauvage fait couler beaucoup d’encre, et surtout, sert de passerelle -encore une- entre les diverses ambitions de pouvoir dans le Nord-Est parisien. Aussi, on retrouve les mêmes vautours -associations de commerçants, préfecture, mairies d’arrondissement- au coude à coude pour le « grand nettoyage du bas-Belleville ». Dés septembre 2009, une association (BCP pour Belleville-Couronnes Propreté) voit le jour, fédérant les riverains agacés, qui vont d’emblée manifester devant la mairie du XXe pour forcer les élus et la Préfecture à agir.

Le directeur de cabinet à la mairie annonce une coordination entre les mairies des XXe, XIXe, XIe et Xe arrondissements afin de « mutualiser leurs moyens et assurer une présence policière permanente pendant au moins six mois ». Suite à une relative accalmie, l’association se dit satisfaite, tout en précisant par la voix d’une de ses membres (en l’occurrence Fatima Brahmi) : « Nous ne souhaitons pas vivre entourés de flics de tous les côtés ». La mairie du XXe, quant à elle, propose l’occupation de l’espace public par des manifestations d’artistes, notamment sur le terre-plein entre Belleville et Couronnes, espace qui appartient à la mairie du XIe, en plus de la présence de contrôleurs de la propreté susceptibles de délivrer des amendes à tout contrevenant. Après que l’occupation policière quotidienne a pris fin, vers novembre 2009, le marché est reparti de plus belle, au grand dam de BCP, qui précise la différence pour elle entre un « marché de biffins sympathique, bon enfant et toléré » et le marché illégal fonctionnant grâce à une « organisation collective implicite » consistant à repérer l’arrivée des flics, à les chasser s’ils ne sont pas en position de force, tout comme certains touristes et journalistes venus prendre le marché en photo. L’assoc’ se plaint donc des « nuisances visuelles, sonores et sanitaires, des bagarres fréquentes », et aussi du fait que la plupart des marchandises viendraient du vol à l’étalage. Allant plus loin, elle va jusqu’à dénoncer, en avril dernier, « la présence opportuniste de groupes de jeunes gens sans papiers, tunisiens pour la plupart, qui n’ont d’autre occupation possible que celle de se désaltérer à la bière à longueur de journée ». Très vite donc, plusieurs pétitions circulent dans le quartier, et la mobilisation contre les vendeurs à la sauvette se véhicule lors des conseils de quartier, où nos bons citoyens viennent exiger plus de moyens de la part des autorités, regrettant au passage que « La BST récemment mis en place n’inclut pas la zone Ménilmontant/Couronnes dans son périmètre d’intervention…Ils ne viennent que par conscience professionnelle lorsqu’ils en ont la possibilité. Les quelques rares (sic) présences des cars de CRS, dont la mission est d’éviter les débordements et qui ne luttent donc pas contre l’installation des vendeurs, donnent malheureusement l’impression à ces derniers qu’ils ont le droit de poursuivre leurs affaires. Les policiers des commissariats du XXe et du XIe ont abandonné, résignés face à la réinstallation systématique du marché et au manque de moyens dont ils disposent pour faire face… »

Calandra, la maire du XXe, soucieuse de consolider son arrondissement en terre d’asile pour riches bobos de gauche, mais aussi avide de gagner en électeurs soucieux avant tout de sécurité, n’en demandait pas tant pour pouvoir jouer de la surenchère verbale. Le 10 mai dernier, lors d’un conseil de quartier, celle pour qui « Belleville est un chaudron » prend donc les devants et propose une manifestation rassemblant élus, commerçants et habitants de Belleville. Selon ses propres termes, il s’agit de créer un « rapport de force démocratique », afin d’obtenir des renforts policiers. Cette manif aura finalement lieu le 20 mai, durant laquelle nombre de magasins ont baissé rideaux en signe de solidarité, agacés de la baisse de leur chiffre d’affaire depuis plusieurs mois. Régulièrement les flics, las de se contenter du jeu du chat et de la souris, tentent de virer de force les vendeurs à la sauvette, entraînant de brefs face-à-face, parfois assez tendus. Une conflictualité renforcée depuis quelques temps par la lutte des Tunisiens sans papiers récemment arrivés, et qui ont multiplié rassemblements, ouvertures de lieux de vie et d’organisation, manifestations sauvages conclues parfois d’affrontements avec la police, bien décidée à ne pas laisser s’installer cette nouvelle présence gênante en terme de paix sociale et de réputation pour un quartier encore en voie d’embourgeoisement. Conflictualité régulière aussi, entre certains habitants du quartier et la police. Une des dernières illustrations est venue le 6 juin dernier rue Ramponneau, lorsque des flics arrivés pour interrompre une rixe se sont fait encercler par une cinquantaine de personnes hostiles. Suite à une première interpellation musclée, des renforts venus du XIe arrondissement ont voulu arrêter un scooter venant vers eux, qui a forcé le passage, suite à quoi un des flics a ouvert le feu sur le conducteur, heureusement sans succès, et c’est finalement l’agent qui s’en tiré avec dix jours d’ITT. Puis c’est au tour d’une jeune femme, refusant d’obéir aux ordres de dispersion des flics, qui est arrêtée, non sans avoir giflé au passage l’un d’entre eux. Au final, on ne peut plus se promener dans le quartier sans tomber sur une meute de flics prêts à rafler tout ce qui ne marche pas droit. Mais cela ne suffisait pas pour Patrick Huang, puisque celui-ci a obtenu une énième réunion avec le commissaire de police du deuxième district sur l’insécurité dans le quartier, réclamant toujours plus de flics (mais est-ce seulement encore possible matériellement ?). Ce même Patrick Huang que nous avons aperçu le lundi 27 juin rue de Belleville en compagnie d’une délégation de costards-cravates (probablement de la préfecture et de la mairie), à qui il mendiait sans doutes quelques juteuses subventions en plus de nouveaux effectifs de police.
En décembre 2010 déjà, le buraliste et son association de petits patrons du quartier avaient eu une réunion avec la préfecture de police de Paris où ils avaient obtenu la promesse de nouvelles caméras de surveillance pour fin 2011… Ceux qui le connaissent auront déjà pu remarquer la présence massive et paranoïaque de cameras dans son bar-tabac Le Celtic, peut-être un avant-goût du quartier ? Précisons tout de même que lors de l’inauguration de l’Association des Commerçants de Belleville, dont la mairie a suscité la création en 2010, un représentant de l’ambassade de Chine a été invité, ce qui laisse songeur quant au caractère « spontané » de la manifestation du 20 juin 2010, et qui donne un aperçu de tout ce qui se trame derrière.

Le dernier clou médiatique en date enfoncé dans le cercueil bellevillois est arrivé le mercredi 29 juin, lorsque le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant,Il y a un peu plus d’un an, le 20 juin 2010, avait lieu à Belleville une manifestation pour la « sécurité », organisée par diverses associations censées représenter la « communauté asiatique » pour demander aux autorités le renforcement de l’arsenal répressif local (plus de flics, de caméras, de sanctions etc.). Il s’agissait notamment de protester contre des agressions et vols subis par la dite « communauté asiatique ». Durant cette manifestation, des échauffourées avaient éclaté dans le quartier entre des centaines de manifestants et la police, accusée de mal faire son travail, puis après le départ pro a rendu une visite surprise à Belleville en réponse à la manifestation avec la volonté de « mettre le paquet pour renforcer le sentiment de tranquillité » ainsi que « pour protéger les honnêtes gens quelles que soient leurs origines » (nous voilà rassurés…). Il a d’abord rendu visite aux proches de Hu Jiang, la « victime de trop », dans le restaurant où celui-ci travaillait, le Nouveau Palais de Belleville. Il est ensuite allé au restaurant Le Pacifique, situé à 100 mètres de là, au croisement de la rue Tourtille, où il s’est entretenu avec des élus locaux, dont la maire PS du XXe, Frédérique Calandra et le sénateur maire PS du XIXe, Roger Madec, des responsables d’associations chinoises comme l’AJCF (Association des jeunes chinois de France), l’Union des Commerçants d’Aubervilliers pour la Solidarité, mais aussi des représentants de l’ambassade de Chine (encore eux…). Mais aussi Anh Dao Trexel qui, lors de la réunion affirma au ministre que « les Asiatiques veulent avoir un traitement égal pour avoir la paix dans la République. Je veux un nettoyage des racailles et voyous pour vivre en tranquillité ». La « communauté chinoise » étant paraît-il acquise à l’UMP, celui-ci est venu chasser sur ses propres terres fétides. Il annonce « un travail en étroite collaboration avec les associations chinoises et l’arrivée imminente de patrouilleurs dans le quartier, probablement avant l’été ». Puis surenchère de la maire PS Calandra du XXe qui demande leur mise en place immédiate. Ils sont désormais là, et bien là. Tout devient plus clair, le PS ne cherche même plus à cacher sa vraie nature en soutenant des manifestations sécuritaires et réactionnaires, en finançant des associations ouvertement communautaristes (parfois nationalistes) de la bourgeoisie immigrée chinoise et de patrons locaux, épaulés par le Parti Communiste Chinois.

Entre 3000 (selon la police – trois fois moins qu’à la précédente) et trente mille personnes (selon les organisateurs – autant qu’à la précédente), dont beaucoup d’enfants, ont donc défilé dimanche 19 juin dernier, de République à Nation à l’appel du « Collectif des associations asiatiques de France », pour réclamer la « Sécurité pour tous ». Des portraits de Hu Jiang et des drapeaux français émaillaient le cortège, et le slogan était « Liberté, égalité, fraternité… ET SÉCURITÉ ! ». Anh Dao Trexel (fille adoptive de Jacques Chirac d’origine vietnamienne) encore elle, est venue prêter main forte au cortège comme en 2010. Elle a demandé « aux pouvoirs publics de prendre des mesures pour garantir la sécurité des biens et des personnes » avant de s’étonner de « l’absence des élus des arrondissements dont dépend Belleville et qui avaient participé à la manifestation de l’an dernier ». L’Association Chinoise pour le Progrès du Citoyen s’est également émue à travers son président Yang Hua du peu d’intérêt des élus parisiens pour les questions de sécurité (la bonne blague). Hamou Bouakkaz, adjoint au maire de Paris chargé de la démocratie locale et de la vie associative et élu du XXe arrondissement a toutefois rejoint le cortège en cours de route, en tête de banderole [PHOTO]. On imagine bien ce dernier suivant prudemment de loin la manifestation, et décidant de rallier le cortège après s’être assuré que tout se déroulait dans le bon ordre…
Olivier Wang, avocat et porte-parole de la manifestation y affirme aux médias « que l’heure n’est pas encore aux milices privées, reconnaissant cependant qu’à Aubervilliers où travaillent beaucoup de Chinois de Belleville, des « patrouilles » sont menées pour protéger les marchandises et les personnes ». Il y prononce également cette insinuation, qui sera répétée comme un mantra religieux ou un mot d’ordre décidé à l’avance, par tous ceux qui répondront aux questions des médias, présents en masse : « Quand je me promène la nuit à Belleville, je suis toujours obligé de regarder dans tous les sens pour être sûr qu’il ne va rien m’arriver ».

Au fond, nous ne pouvons qu’acquiescer à cette affirmation, puisque nous aussi nous avons peur de sortir la nuit à Belleville et nous regardons constamment derrière nos épaules. Ce que n’ont pas le temps de faire tant de gibier à flics, passant quelques mois en prison par-ci par-là, comme tant d’autres gens du quartier. La voilà la terreur que nous ressentons, celle de se faire mettre le grappin dessus pour tout et n’importe quoi, par n’importe quel petit laquais en uniforme, d’être jeté dans l’arène de justice puis au trou, livré en pâture de matons en mitards comme c’est le cas de tant de bellevillois, et comme dans tous les quartiers dits « sensibles ».

On nous parle chaque jour de sécurité et d’insécurité, à la TV, dans les journaux, dans les beaux discours des politiciens etc. Le sujet est incontournable. Mais quelle est la réalité de ce problème ? Le lobbying sécuritaire se mord consciemment la queue en profitant des peurs qu’il a lui-même créé : la présence incessante de flics dans la rue donne la sensation aux « honnêtes-gens » d’être dans une zone à risque, créant ainsi superficiellement le sentiment d’insécurité, et justifiant la présence d’encore plus de flics. Dans un quartier pauvre comme Belleville, délits et menus larcins sont quotidiens : petits vols en supermarché, marché noir, vente à la sauvette, petites bagarres, petits deals… mais qui cela dérange-t-il vraiment ? Ou plutôt, qui arrange vraiment la dénonciation opportuniste de cette « délinquance » ? Les petits commerçants à la recherche d’une clientèle plus riche et respectable, les requins immobiliers en quête de clients plus solvables, les politiciens surfant sur des sentiments créés de toute pièce pour séduire un électorat servile et apeuré ou encore les protagonistes du business sécuritaire qui acquièrent grâce à cette mascarade de nouveaux appels d’offre et de nouveaux marchés juteux (comme l’installation de milliers de cameras). L’insécurité est un terme à bannir, même s’il est tentant] de le renvoyer à la gueule des dominants, car l’« insécurité » dont nous soufrerions en premier lieu serait bien la misère, les violences policières, les expulsions, le travail, les incarcérations, les tabassages, les contrôles au faciès, les rafles etc. Celle-ci ne se réglera jamais à coup de flics ou de code pénal, car ce sont eux qui en sont les artisans.

De toute évidence, n’importe qui dans le quartier en proie à la pauvreté, au défaut de papier et insoumis à la paix sociale, devra compter avec ce réseau de pouvoir formé en coalition pour la militarisation de Belleville. Ils ont des noms, des adresses et une idéologie qu’il nous faudra démonter par tous les moyens que notre désir de liberté suggérera par la suite.

À la guerre aux pauvres et entre pauvres que l’on voudrait nous imposer, nous répondons donc par la guerre sociale sans trêve.

À « sécurité pour tous », nous répondons liberté pour tous.

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L’Enivrante jouissance de la vengeance satisfaite

On a tellement écrasé le sentiment de la personnalité qu’on est parvenu à forcer l’être même qui se révolte contre une injustice à s’en prendre à la Société, chose vague, intangible, invulnérable, inexistante par elle-même, au lieu de s’attaquer au coquin qui a causé ses griefs.

Ah ! si les détroussés des entreprises financières, les victimes de l’arbitraire gouvernemental avaient pris le parti d’agir contre les auteurs, en chair et en os, de leurs misères, il n’y aurait pas eu, après ce désastre, cette iniquité, et cette infamie après cette ruine. La vendetta n’est pas toujours une mauvaise chose. (…) Et devant l’approbation universelle qui aurait salué, par exemple, l’exécution d’un forban de l’agio, le maquis serait devenu inutile… Mais ce sont les institutions, aujourd’hui, qui sont coupables de tout ; on a oublié qu’elles n’existent que par les hommes. (…)

Les représailles n’ont pas besoin d’explications et il est puéril de rouler ma colère, encore une fois, dans le coton des arguties sociologiques. Aux simagrées des Tartufes de la civilisation, aux contorsions béates des gardes-chiourme du bagne qui s’appelle la Société, un geste d’animal peut seul répondre. Un geste de fauve, terrible et muet, le bond du tigre, pareil à l’essor d’un oiseau rapide, qui semble planer en s’allongeant et s’abat silencieusement sur la proie, les griffes entrant d’un coup dans la vie saignante, le rugissement s’enfonçant avec les crocs en la chair qui pantèle et qui seule entend le cri de triomphe qui la pénètre et vient ricaner dans son râle.

Georges Darien, dans Le Voleur, 1897.

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Lucioles n°3 – juin/juillet 2011

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En raison de l’indifférence générale, demain est annulé

tumblr_laklp9YO0V1qe9m38o1_5008 h du Mat’ au métro Belleville, la gueule enfarinée de rigueur avant une journée de merde au turbin, on lève à peine les yeux, ils sont là, ils tentent d’être discrets et silencieux mais la banale horreur de leur sale travail crève yeux et tympans. Ils sont en train de rafler des sans-papiers en pleine rue, de les amener dans leur camionnette banalisée un peu plus loin, parfois la destination se résume à une taule, le centre de rétention, parfois la destination finale est un pays lointain auquel ils sont censés appartenir, mais selon quels critères ?

11h, Place de la république, elle arrive au resto et enfile son tablier. Sa mère est fière d’elle, elle a enfin trouvé un travail, elle sert des bouts de viande aux riches et ramène un peu de sous, qui de toute façon ne toucheront jamais ses mains abîmées par la javel, ils iront du compte en banque du patron à celui du propriétaire. Les clients sont là, ils attendent tous quelque chose d’elle, en temps et en heure, ils sont intraitables, lui collent des pourboires sur les fesses, l’ignorent quand ils n’ont pas besoin d’un peu de sel. Ils puent le fric, elle pue la graisse de frite. Elle ne rêve que de leur loger une assiette entre les deux yeux.

17h sur le Boulevard de la Villette, il cuve sa bouteille de mauvais vin, comme pour oublier la galère qu’est devenue sa vie depuis qu’il est à la rue, pris entre le froid et ceux qui ne font que leur travail. Quatre gaillards se ramènent, arborant un brassard vert, ils ne sont pas de la police, ils y tiennent, ce sont des éducateurs de quartiers, des correspondants de nuit. Ils prennent son nom, son prénom, toutes les informations possibles et les transmettent à la mairie. On ne sais jamais, ça pourra toujours servir, se disent-ils.

20h, Rue de Tourtille, ils font le mur, tuent l’ennui, attendant impatiemment que le temps passe, se racontent des histoires, les dernières blagues, le match de la veille, un petit joint. Mais c’est les pneus qui crissent, les portières qui s’ouvrent et se referment brutalement, le cœur qui bat. La fouille, les insultes, les menottes, le chien qui te renifle la bave aux lèvres et les crocs baladeurs et puis tiens, pourquoi pas, quelques taloches dans la gueule. Celui-ci finira la nuit au fond d’un poste puant dans une cellule qui pue la merde, ça sera que la vingtième fois, il a l’habitude. Celui là se fera piquer ses fonds de poche par un fonctionnaire scrupuleux.

23h sur le Boulevard de Belleville, elle aimerait bien être au chaud, vivre autre chose que la survie permanente, mais elle est là -4°, sur le trottoir entourée de ses collègues. Frappé par une autre forme de misère, il est là, il rode, il voulait baiser ce soir, il a sorti son porte monnaie, après tout lorsqu’il a faim, il achète un sandwich, alors pourquoi pas une femme. Il la veut pour lui tout seul, mais elle ne veut pas, refuse. Il s’énerve, la bouscule, elle tombe, tout le monde s’en fout. Elle se dit que la prostitution est un travail comme les autres, que le travail est une prostitution comme les autres.

Nous ne faisons que jouer nos rôles, nous ne faisons que nos métiers, nous ne faisons qu’appliquer les normes et les lois en vigueur, nous ne faisons qu’obéir aux ordres, nous y sommes réduit, la plupart du temps, et c’est bien ça le problème.

Ils, Moi, Nous, Toi, Eux.

Lassons nous d’attendre un jour lointain ou une étincelle mettra le feu aux poudres, où l’insurrection des dominés réduira ce monde en cendres et en ruines, libres de se jeter dans l’inconnu, de créer de nouveaux horizons, laisser libre cours à l’imagination et mettre en pratique le désir de liberté que nous avons nous-mêmes toujours participé à censurer.

Rasons ce monde et vivons enfin !

Le cœur est humain dans la mesure où il se révolte.

Des anarchistes.

[Tract trouvé au métro Belleville, mars 2011]

[in italiano]

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Belleville militarisé

Deux constats : le premier est qu’il ne fait pas bon être pauvre à Paris et dans sa banlieue (mais l’a-t-il déjà été ?). Le deuxième est que le pouvoir intensifie sa chasse aux gueux, afin d’effacer une misère qu’il crée par ailleurs. Un troisième constat peut-être, qui n’est pas superflu en ces temps où l’anti-sarkozisme remplace toute critique réelle de la société : la gauche est loin d’être en reste lorsqu’il s’agit de militariser le contrôle de nos vies, bien au contraire.

Dans le premier cas, c’est le maire écolo de Sevran (Gatignon) qui demande une intervention de casques bleus pour pacifier «sa» ville en proie à des troubles, sur le modèle du Kosovo. Dans le second, ce sont les maires socialistes des XXe et XIe arrondissements (Calandra et Bloche) qui pressent le préfet de police d’envoyer ses pandores casqués pour nettoyer le terrain. Dans le premier cas, il s’agit d’éviter les règlements de compte ; dans le second, d’empêcher la tenue d’un marché sauvage de vendeurs à la sauvette. Dans les deux cas, on crie à la «ghettoïsation» progressive des quartiers. Dans les deux cas, tout prétexte est bon pour habituer les populations à voir les villes se transformer en casernes à ciel ouvert ; pour diffuser la peur, afin de légitimer le contrôle de l’Etat ; pour pousser les pauvres à détester les plus pauvres d’entre eux, ou les forcer à faire leurs bagages, sachant qu’il n’y a aucun paradis pour eux dans un monde dominé par l’argent.

En ce qui concerne Belleville, il y a eu dans un premier temps la création de la Brigade Spécialisée de Terrain (Voir l’article sur le sujet dans ce numéro), puis la présence permanente de plusieurs fourgons de CRS répartis entre Ménilmontant, Couronnes, Belleville et Colonel Fabien. Dans ce «rapport de force démocratique» – dixit la maire du XXe lors d’un conseil de quartier – et malgré quelques vaines indignations de son aile gauche, il s’agit de draguer les commerçants du quartier, afin que le seul type de marché autorisé soit celui susceptible d’être rentable économiquement comme politiquement. En clair, mieux vaut un bon vieux vide-grenier bien folklorique et propret, autorisé et attirant les bobos et autres touristes, qu’une cohorte de gueux incontrôlables refourguant quelques vieux vêtements pour une poignée d’euros. Car le musée pour classes moyennes, ce décor dont ils rêvent de recouvrir le nord-est parisien par l’expulsion des pauvres hors des centre-villes vers les périphéries, risquerait d’en prendre un sérieux coup, et les affaires (toujours qualifiées d’ «intérêt général» par les puissants) de se retrouver menacées.

À la limite, on créera un «carré des biffins», de préférence en bordure de périphérique, là où l’on ne les verra pas trop, pour se donner bonne conscience. Au passage, on pourra les trier pour créer encore une nouvelle hiérarchie sur les bases du pouvoir (avec ou sans papiers). Mais toujours «régulé», afin de rester un «élément indispensable à la chaîne de la consommation», comme le rappelle un vrai biffin, bien responsable, toujours lors du conseil de quartier.

Aussi le 20 mai dernier, une mini-manif réactionnaire composée d’associations de riverains, de petits commerçants et de vils élus a parcouru le quartier afin d’obtenir des renforts policiers, tandis que nombre de magasins restaient fermés en soutien à cette mesquine démonstration citoyenne.

Le 1er juin, les flics tentent à leur tour un « rapport de force démocratique » au niveau du métro Couronnes. Sortant les flash-ball pour dégager le terre plein central du boulevard de tous ses vendeurs à la sauvette et autres pauvres, une baston se déclenche alors en réaction à cette agression, au cours de laquelle plusieurs personnes seront blessées par les coups et les tirs des policiers, rameutés en grand nombre. Au même moment, la mairie de Paris reprenait le contrôle du gymnase rue de la Fontaine-au-roi occupé par des migrants tunisiens, en y envoyant ses vigiles (voir le texte sur la lutte des tunisiens sans-papiers dans ce numéro).

Face à cette offensive, nous n’allons pas nous ériger en apologistes de la misère, ou comme des défenseurs du «marché libre» de Belleville, justement parce que si misère et marché (dans tous les sens du terme) vont si bien ensemble, la liberté, elle, réside ailleurs.

Mais au-delà de telle ou telle autre catégorie d’indésirables visée par ces diverses offensives, on finira tous par se prendre la militarisation du quartier en pleine gueule.

À bon entendeur donc

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Brèves

Dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 janvier, plusieurs antennes de la Croix-Rouge (rue des Couronnes, rue Haxo, rue de Romainville, rue Albert Thomas) ont été visitées, des tags aposés sur leurs façades, parmi lesquels « Feu aux C.R.A. », « Collabos », « Balances », « Liberté pour tous », « Bourreaux », « Les prisons en feu, la Croix-Rouge au milieu ». La maison de la Justice et du Droit, rue du Buisson-St-Louis, a elle aussi eu droit à ses petites décorations : « crève l’Etat », « Crame la taule », « Liberté pour tous », « Nique la justice », « Feu aux prisons ». Cette petite action a pour but de rappeler le rôle de la Croix-Rouge dans la bonne marche de la machine à expulser et à enfermer. (lu sur Indymedia)


Dimanche 27 février, Paris. Un petit geste de solidarité avec les enfermés des prisons spéciales pour étrangers (centres de rétention). La vitre du local du Parti Socialiste et sa porte volent en éclat rue Sarasate (15e), suivie des pare-brises avant et arrière d’une voiture diplomatique quelconque et d’une seconde de Sin & Stes (un des vautours du nettoyage qui s’engraisse sur le marché des centres de rétention), rue de la Convention. Cette action fait suite aux révoltes dans les prisons pour étrangers de Steenokkerzeel (Bruxelles, Belgique) et de Gradisca (Gorizia, Italie) qui ont été presqu’entièrement incendiés par des retenus. Ainsi que celui de Vincennes (Paris) . (lu sur Indymedia)


Mais quel est ce doux bruit de verre dans la nuit ? Ce verre qui se fissure et tombe même parfois à terre ? C’est par exemple, dans la nuit du 27 au 28 février à Paris, celui des vitres de la Croix-Rouge rue Lemonnier (paris-12), à côté du tag « collabo des expulsions ». C’est aussi celui des vitres d’une camionnette d’Eiffage (constructeur de taules) rue L. Frot, d’un garage Renault (exploiteur de prisonniers) rue Lepeu et d’une agence d’interim Synergie (exploiteur de sans-papiers) rue du Chemin Vert (paris-11). Contre la machine à expulser. (lu sur Indymedia)


Vendredi 4 Mars, à 10heure30, l’agence Air France de la rue Faubourg Poissonnière à Paris a été visitée par une dizaine de personnes. L’intérieur de l’agence a été tagué (« non aux expulsions » et « Air France collabore »), de la peinture a été déversée, des présentoirs ont été renversés et du matériel informatique brisé. Ce n’est pas la première fois que AF se fait pointer du doigt pour sa collaboration aux expulsions de sans papier, de plus elle n’hésite pas à livrer à la police et à porter plainte contre tout acte de solidarité avec les sans papiers. (lu sur Indymedia)


Dans la nuit du dimanche 6 au lundi 7 mars à Paris, des entreprises ont vu leurs devantures recouvertes de peinture rouge : La Poste de la rue Clavel, le Pôle Emploi de la rue Mélingue, le Crédit Lyonnais de Jourdain et les boutiques SNCF et Bouygues de la rue de Belleville. Les serrures de la boutique SNCF, du Pôle emploi et d’un magasin bio rue de Belleville ont été sabotées, les contraignant à retarder leur ouverture, voire à fermer pour la journée. Une voiture Vinci rue Alphonse Daudet, ainsi qu’une camionnette Avenance (Elior) rue Vercingétorix ont été incendiées. Deux pochoirs ont apparu : « Bouygues, en faire plus pour vous enfermer » et « SNCF, Un train d’avance sur la délation ».
En effet, ces enseignes s’illustrent régulièrement pour leur participation aux côtés de l’Etat à la machine à expulser : Bouygues et Vinci en construisant des taules et des centres de rétention. Avenance en fournissant la nourriture dans les centres de rétention. Les banques et la SNCF en balançant des sans-papiers. Certaines de ces enseignes ont déjà été touchées l’année dernière et ces charognards n’hésitent pas à balancer celles et ceux qui luttent contre la machine à expulser. (lu sur Indymedia)


Dans la nuit du 8 mars une antenne de la Croix Rouge de la rue de couronnes a reçu une visite : des tags ont été déposés -« Croix Rouge complice de viol dans les prisons pour étrangers en Italie » ; « pour Joy »- et des vitres ont volé en éclats. L’histoire de Joy est une des milliers d’histoires d’abus, de violence et de racisme, qui existe vis-à-vis de femmes enfermées.Elle avait porté plainte contre le directeur du centre de rétention de Milan, Vittorio Addesso, pour tentative de viol. Ce porc infâme vient d’être relaxé grâce, entre autre au témoignage de M. Chiodini, responsable de la Croix Rouge de ce CRA. Dans ce témoignage crapuleux, Joy est définie comme une « nigérienne dangereuse », car elle a pris part dans les révoltes qui ont touché le CRA de Milan.Il est de domaine publique que la Croix Rouge collabore à l’enfermement, aux tabassages dans les prisons pour étrangers et aux expulsion de sans-papiers en Italie comme ailleurs. (lu sur Indymedia)


Jeudi 19 mai 2011, rue Riquet, dans le 19e arrdt, une intervention policière s’est bien terminée pour une fois. Il s’agissait de mettre un terme à un barbecue, il s’agissait plus certainement de couper court à toute possibilité pour des pauvres du quartier de s’amuser un peu.
Trois agents de sécurité (des vigiles) ont été tabassés par des personnes présentes et bien décidées à ne pas se faire emmerder cette fois-ci, puis une centaine de gens du quartier sont arrivés. Les agents débordés ont été sauvés par l’intervention d’une équipe de cowboys de la BAC du 19e. Malheureusement, deux personnes ont été interpellées à l’issue de ces échauffourées, mais l’un des vigiles souffre d’une fracture au bras droit.


Dans la nuit du 19 au 20 mai 2011, en solidarité avec la lutte des Tunisiens de Lampedusa à Paris et ailleurs, les pneus de 5 utilitaires de la Mairie de Paris ont été crevés, des tags ont été faits sur les voitures: « Vas-y toi-même dans ton foyer de merde Bertrand », « Tu cède ou la prochaine fois ça brule », « le maire et ses adjoints au poteau », « Lampedusa ! » et « Brule ! ». Pareil pour une voiture de la Croix-Rouge avec les tags: « Gérez les nonneries, pas les prisons » et « Matons ! ». Plusieurs 4×4 et bagnoles de luxe auront également leurs pneus crevés avec les tags: « envoie la note du garage à Bertrand, connard » ou « t’avais qu’à pas être riche ». Sur une voiture d’Eiffage: « Je construis des prisons, chiez sur mon pare-brise ». (lu sur indymedia)


Dimanche 22 mai 2011 (et la veille) se tenait sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris le « village du Jasmin ». En fait une opération publicitaire organisée par la mairie et l’office du tourisme tunisien pour vendre la Tunisie aux promoteurs et aux touristes. Peu avant 16h, une cinquantaine de harragas et de personnes solidaires se sont invités dans cette opération de com’ pour la perturber. « Papiers, Liberté », « solidarité avec les sans-papiers », « Delanoë, premier des Benalistes » et autres slogans ont parcouru les stands, tandis que des tracts étaient balancés. (lu sur indymedia)

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À propos de la lutte des sans papiers tunisiens à Paris

Fin avril dernier, la police a donné le départ d’une vaste campagne de chasse à l’homme, visant cette fois les migrants venus de Tunisie, qui survivent comme ils le peuvent – comme nous tous -. Les harcelant et les raflant par dizaines, en Seine-St-Denis (Pantin notamment) mais aussi dans le Nord-Est parisien (Stalingrad, Jaurès, Belleville, et aux alentours de la porte de la Villette). Profitant au passage de la présence de la Croix-Rouge qui regroupait ces migrants pour leur donner la gamelle, les flics ont rempli les cages à lapin avant d’aller trier leur butin humain au comico. Un tri, qui selon l’aveu fort éclairant des autorités, se fait sur la base des «ressources, suffisantes ou insuffisantes pour assumer leurs frais de séjour (sic)», à savoir 30 euros par jour. On ne s’attardera pas sur l’ignominie de cette phrase en la mettant en rapport avec la situation de ces migrants qui pour beaucoup dorment encore dehors.

Des rafles exécutées «dans la continuité», toujours selon les termes de la préfecture, dont nous saluons la morbide franchise. Car ces rafles policières, qu’elles visent les Rroms, les migrants venus de l’autre côté de la Méditerranée et d’ailleurs, ou les individus irréductibles à la domination et au contrôle, sont bien une pratique régulière et constante de l’État démocratique. Comme tout bon État, il tente de gérer les tensions sociales par l’enfermement, les condamnations judiciaires et les expulsions. Frapper durement les plus réfractaires, ou les plus potentiellement dangereux aux yeux du pouvoir, pour apeurer tout le monde, et ramener chacun dans le bon droit de la normalité du travail et de sa misère économique.

De suite, le maire de Paris s’est empressé de monter au créneau, avec en main cette piteuse arme citoyenne à la mode: l’indignation. Et le sieur de réclamer «humanité et dignité» pour ces migrants. Qu’entend-il par là? Peut-être les arrêter et les enfermer dignement et humainement dans des centres de rétention à taille humaine avant de les expulser avec dignité, comme son parti, le PS, l’a toujours fait? Tout en ayant pris soin de cogérer cette sale besogne avec ses souteneurs associatifs, verni humanitaire de cette machine à contrôler les individus et à les trier en fonction de leur possible rentabilité économique et sociale. Ainsi certains de ces expulseurs qui ne disent pas leur nom proposent, souvent de manière masquée, une aide matérielle ou un hébergement provisoire à l’hôtel ou dans des foyers carcéraux (de l’aveu même des migrants qui y sont passés) par exemple, qu’elles lient parfois avec un engagement au fameux «retour volontaire» vers le pays de départ.

Cela s’est vite confirmé, et très tôt, une partie des migrants tunisiens s’est mise d’elle-même en lutte pour obtenir deux choses principales: des papiers pour tous et un lieu pour pouvoir vivre et s’organiser. Dans un premier temps, ils partent en manif sauvage depuis la porte de la Villette vers Stalingrad, pour contrer une énième agression des flics. Quelques jours plus tard, ils tentent de prendre la tête de la manif parisienne du 1er mai, vite empêchés en cela par les syndicats et leurs services d’ordre, et portant une banderole disant « Ni police, ni charité. Un lieu pour s’organiser ». Le soir même ils décident, aux côtés de personnes solidaires, d’ouvrir un lieu appartenant à la mairie de Paris. Ce bâtiment situé 51 avenue Simon Bolivar, à côté des Buttes Chaumont, sera occupé et autogéré par quelques 200 personnes pendant trois jours, avant que les flics, à la demande de Delanoë, l’expulsent à l’aide d’un dispositif massif, dans une opération supervisée par Guéant (ministre de l’Intérieur) lui-même.

A partir de là, la mairie commencera à calomnier et à infantiliser les tunisiens en lutte, parlant de «sans-papiers tunisiens manipulés par des anarchistes et autres radicaux». Les premiers concernés (les « sans-papiers ») mettront vite les points sur les i dans une réponse soulignant notamment qu’ils n’avaient besoin de personne pour leur indiquer comment lutter et pourquoi.

Ces trois jours seront l’occasion de nombreuses discussions, en partie sur l’auto-organisation, pas toujours évidente à mettre en place à ce nombre, mais aussi l’occasion de moments forts, comme lors de cette occupation sauvage de l’avenue durant plusieurs heures, marquée par quelques face-à-face déterminés contre les flics. Suite à l’expulsion de Bolivar, une nouvelle occupation est décidée, cette fois en prenant le gymnase municipal de la rue de la Fontaine-au-roi, près de Belleville. Le 13 mai, une manifestation sauvage parcourt avec joie et force le quartier de Belleville jusqu’à Goncourt. Avant de se rendre en métro, en profitant pour y foutre un beau bordel (criant, taguant) sur le parvis de l’Hôtel de Ville, où la quasi-totalité des manifestants se retrouvent encerclés par les flics dans une atmosphère tendue. Chacun comprend à ce moment que la mairie ne lâchera rien, à part ses chiens de garde.

Malgré le sale travail de division mené par une nuée d’associations (bossant toutes plus ou moins avec la mairie, comme Aurore, France Terre d’Asile, par ailleurs active dans la bonne gestion des centres de rétention, et ECO -ensemble contre l’oubli-, avide quand à elle d’obtenir la gestion de foyers d’hébergement contre de juteuses subventions), qui essayant de séparer les occupants en fonction de leur «région» d’origine, qui proposant des listes fermées pour quelques places en foyer, une dynamique de lutte s’est maintenue, en veillant tant bien que mal à éviter de tomber dans des logiques et pratiques de soutien humanitaire (se contenter de trouver et de faire la bouffe pour les gens, trouver et gérer un lieu à leur place, servir de médiateurs de choc dans les négociations…). Par ailleurs, on peut se questionner sur la pertinence de réclamer à l’oppresseur direct des moyens pour s’organiser (comme un lieu, alors qu’il pourrait suffire de l’occuper et de le défendre). Aussi, si l’on se place dans une perspective révolutionnaire, on peut s’interroger sur notre intérêt à réclamer des papiers pour quelques-uns, et même pour tous, alors que nous voudrions la destruction de l’État et de ses frontières. Il faut certes des papiers pour survivre, mais il ne faut plus de papiers du tout pour vivre. Mais contrairement à beaucoup de luttes de sans-papiers, celle-ci semble souvent rompre avec les réflexes victimisant (pas de grève de la faim, pas de mise en scène de la lutte), ce qui contribue à rendre cette lutte particulièrement intéressante.

Une manifestation non déclarée est appelée le samedi 21 mai porte de la Villette, stoppée dés le départ par une marée de CRS et de flics en civil de la BAC, flash-ball au poing, assistés par quelques RG venus mettre à jour leurs fichiers de renseignement. S’en suivent une arrestation collective et une cinquantaine de vérifications d’identité dans plusieurs commissariats, dont tout le monde sortira rapidement. On apprendra dans la presse que ces vérifications visaient les présumés membres de la très fantasmée «mouvance anarcho-autonome», encore une catégorie inventée par le pouvoir, comme les «bandes», les «saboteurs», les «gens du voyage».

Depuis, afin de maintenir la pression et continuer à rendre visible la question des frontières, des centres de rétention, et de les mettre en relation avec les soulèvements du début d’année au Maghreb et au Machrek, des actions ont eu lieu, notamment une perturbation d’un salon du tourisme tunisien installé tout un weekend (21 et 22 mai) sur le parvis de l’hôtel de ville. Ce «village du Jasmin» présentait, avec le plus grand cynisme, les atouts de la «nouvelle Tunisie», comprendre la Tunisie post-dictatoriale. Cette même Tunisie vantée dans des publicités arborant des slogans comme «Il paraît qu’en Tunisie, la tension est à son comble», montrant un touriste sur la plage avec les doigts de pied en éventail, ou encore «On dit qu’en Tunisie les balles fusent» illustré par un terrain de golf. Cette Tunisie vendue comme le paradis retrouvé des touristes occidentaux en mal de soleil et d’exotisme, après les troubles si embêtant pour les investisseurs immobiliers et autres amateurs de paix sociale rentable. Cela alors même que le régime transitoire, sur place, continue de mener la répression des révoltés à coup de couvre-feu, d’arrestations et d’incarcérations par centaines. Un tract, distribué par une cinquantaine de personnes aux cris de «Liberté!» et de «Delanoë, premier des Benalistes!», venait rappeler cette situation et affirmer avec force que la lutte pour la dignité ne connaîtrait ni trêve, ni frontières, ni récupération politique.

Le 20 mai, un immeuble appartenant à l’AFTAM (un gestionnaire de foyers), situé rue Bichat (10ème arrondissement) est occupé. Six jours plus tard, les flics tentent d’expulser l’immeuble, sans succès, devant la résistance des occupants appuyés par une petite centaine de personnes solidaires venues manifester devant. Le lendemain, vendredi 27, ils reviennent en force au petit matin, et cette fois parviennent à évacuer l’immeuble. Huit personnes sans papiers sont arrêtées puis transférées au CRA de Vincennes, tandis que neufs personnes solidaires étaient envoyées en garde-à-vue pour «violation de domicile», «occupation illégale» et «dégradations». Peu avant midi, une trentaine de tunisiens et solidaires occupe le siège de l’AFTAM, au 16-18 cour St Eloi (12èmearrondissement) jusque vers 14h. Ils exigeaient le retrait des plaintes et la récupération de l’immeuble expulsé devenu un foyer autogéré. Seul le premier point a été obtenu, tandis que plus de 30 camionnettes de CRS stationnaient tout autour.

Dans le même temps, quelques (trop rares) gestes anonymes viendront apporter un appui solidaire et piquant, visant notamment la mairie et les diverses associations prenant part à la machine à expulser (voir les brèves dans ces colonnes). A l’heure où ces lignes sont écrites, le gymnase est en cour de récupération par la mairie et ses vigiles, qui y a instauré un système de contrôle des entrées et sorties à l’aide de tickets nominatifs. La lutte continue. Et si tu veux la suite, ben bouge ton cul…

Paris, 5 juin 2011.

[in italiano]

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BST : Ils seront toujours trop proches

Aux yeux du pouvoir, il n’y en avait toujours pas assez. Alors que dans la vie grouillante du quartier, forcément « instable », la bleusaille semblait déjà présente à chaque coin de rue. On pouvait en effet déjà voir des agents de toutes sortes en action : à pied, à moto, ou en voiture , BAC, CRS, gendarmes mobiles, flics en civil, « correspondants de nuit » (cf. Lucioles n°1) et même si on arrivait à oublier un moment ces silhouettes invasives, les yeux discrets des caméras contribueraient de toute façon à renforcer une impression de surveillance permanente.

Il fallait que le quartier ait sa propre unité à disposition, sa troupe de réserve spécialement conçue pour lutter contre la « délinquance » et le désordre local calquée sur le modèle des unités spécifiques de banlieues. Celle-ci a été mise en place afin de contrôler des zones à risque, comme les six autres BST du même type mises en place depuis en Ile-De France, au passage c’est aussi la seule à avoir été assignée à un quartier de Paris même. « Il s’agit, avec la création de cette BST, de revenir au cœur du métier de la police », comme l’a souligné le patibulaire préfet de police Michel Gaudin qui l’a mise en place. Entendons par là, le clair et traditionnel artisanat de la répression, éloigné de toutes prétentions à la pacification par la médiation et le dialogue. Aussi lorsque notre préfet annonce qu’il souhaite « établir un contact plus affirmé avec la population », il faut entendre que ce « contact » n’est pas seulement à prendre au figuré. Cela pour nous rappeler que le nord-est parisien, avec sa misère et les activités illicites qui en découlent, ses tensions communautaires et ses frustrations sociales devait, plus que tout autre quartier de la capitale, subir un traitement et un contrôle particulier.

En accord avec quelques politicards de la mairie, tels que Patrick Bloche, maire PS du XIe ou Frédérique Calandra, son homologue du XXe cette nouvelle police de proximité s’est en réalité surtout vue attribuer le rôle de chasse-misère. Que les biffins et autres vendeurs à la sauvette aient l’impertinence d’exposer leur pauvreté en plein jour semblait en effet tellement insupportable à certains riverains et commerçants geignards que ceux-ci n’ont pas manqué de se plaindre ardemment à leur cher bourgmestre; endossant ainsi le rôle de victimes alors qu’ils étaient déjà les enfants chéris du pouvoir. « Les habitants avaient le sentiment d’être abandonnés », résume Bloche.

La BST, née le 22 Janvier est rattachée au commissariat du XXe, elle est censée renouer le dialogue social à coup de menaces et d’invectives, de matraquages et d’arrestations. 25 agents, avec à leur tête le major Roland Toineau, parfaitement « de proximité ». Ils écrasent les marchandises, sifflent les passantes et accompagnent leurs actions de remarques racistes et machistes. Ils battent ainsi le pavé entre Colonel Fabien, Belleville et Couronnes, de 14h30 à 22h30 tous les jours de la semaine. Cela-dit ils aiment varier leurs horaires afin de surprendre leurs proies, aussi peuvent ils parfois être déjà opérationnels dès 10h. La plupart du temps, ils forment une unité de quatre ou cinq agents et peuvent être plus ou moins bardés de matériel. Ils peuvent ainsi cumuler gilets pare-balles, tonfas, flashballs, flingues, gazeuses, cerflex ou paires de menottes, autant dire que pour des agents de proximité, ils ne manquent pas de moyens d’imposer la leur.
Continuellement, ils vont harceler les vendeurs à la sauvette, rendant encore plus insupportable une situation déjà bien misérable. Ces derniers, à chaque fois que la menace surgit, s’empressent de rassembler leurs affaires, enfin ce qu’ils peuvent, avant de disparaître derrière un coin de rue ou dans une bouche de métro. Souvent, l’interpellation s’arrête à la menace verbale et à la confiscation des marchandises, mais il n’est pas rare que certains se fassent aussi embarquer de force. Ce qui peut servir d’excuse pour expulser des sans-papiers ou faire appliquer des peines plancher. De cette manière ceux qui dirigent cette brigade se voient déjà gagner la guerre contre les pauvres : « Si, à chaque contrôle, on en embarque un, ils vont arrêter d’occuper l’espace public» pense sereinement le major Toineau.

Si effrayer les vendeurs à la sauvette demeure leur principale activité, ces agents agissent cependant aussi comme n’importe quelle unité de flics : arrestations de sans-papiers, harcèlement des prostituées, répression de la « délinquance », recueil d’informations. En résumé ils occupent le terrain, ils sont là pour qu’on les voie et qu’on les craigne. Pour information des caméras vont également être ajoutées à ce dispositif de surveillance et de répression. En agissant ainsi sur une zone donnée ils participent au travail de militarisation progressive de nos vies dont nous parlions plus tôt.

Heureusement, parfois, des gens s’interposent pour tenter d’empêcher ces bâtards d’accomplir leur sombre besogne. Comme après tout, il ne s’agit que de rajouter quelques grains de flics dans la flicaille. Et comme si on ne lisait pas dans bon nombre des regards qui se posaient sur eux l’oppression qu’ils dégagent et le désir de les voir disparaître, ou plus physiquement qu’ils se fassent éclater, là comme ça, en pleine rue, au soleil, renversés et piétinés par les mêmes qu’ils humilient et oppriment tous les jours…

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« L’urbanisme c’est faire la guerre »

« Guerrier boulimique ». C’est ainsi qu’un journaliste quelconque qualifie le bonhomme dont un journal quelconque dresse le portrait en ses dernières pages. Crâne dégarni, yeux abattus de chien battu, costard impeccable, mine de cinquantenaire sous valium, notre cador en imposerait presque. Et pour cause ! C’est que nous n’avons pas affaire à n’importe qui, mais à Nicolas Michelin. Vous nous direz : « Nicolas qui ? » Comment ! Vous ne connaissez pas Nicolas Michelin ? Scandale et sacrilège ! Ce guerrier boulimique, aux chevilles qui enflent, sans galons, mais dont le portefeuille gonfle tout à coup, en proportion directe avec les tonnes de bombes larguées ici et là –vous allez vite comprendre pourquoi-, mais avec précision et chirurgie, bien entendu.
Alors, vous n’avez vraiment jamais entendu parler de lui ? Écoutons donc un des ses admirateurs : « Michelin est un combattant qui ne cède rien […] Le métier d’urbaniste est encore plus difficile que celui d’architecte. C’est faire la guerre. » Nom d’un petit bonhomme ! Une autre admiratrice prend le relais du tressage de louanges, parlant quand à elle d’un véritable « condottiere ». Une bien belle image, puisque les condottieri étaient des chefs d’armées de mercenaires au Moyen Age, mettant leur savoir-faire militaire au service d’États, qui les récompensaient en argent, terres et titres.

Mais laissons plutôt l’homme en question se définir lui-même : « L’argent ne m’intéresse pas, je vis le plus léger possible, dans un deux pièces zen à Paris, dans une cabane forestière à Fontainebleau ». Un homme bien, humble dans le succès, la morale infaillible et droite comme les bâtiments qu’il conçoit. Oui, notre homme est architecte. Il conçoit des bâtisses qui constituent le cœur de nos charmantes méga-métropoles modernes. Michelin est opportuniste. Élevé dans une famille « de droite, catho, humaniste, avec le sens de l’économie ». Hum. Un mélange bien complexe. Le monsieur est passé par Jussieu où, surprise, « il n’a pas été gauchiste ». Maintenant monsieur vote écolo. Explication : « On passait nos vacances dans la forêt de Fontainebleau. Mon père se baladait toujours avec des glands dans les poches. Je suis donc naturellement écologiste ». Ahhh, c’est donc ça l’écologie, bâtir des monstres de béton, mais en fourrant des glands dans ses poches.

Bordeaux, Saint-Dizier, Dunkerque, Lille, Metz, Nancy, Tours, Grenoble, rares sont les villes où notre condottiere au bulldozer ne s’est pas mis au service de l’urbanisme, qui est, rappelons-le, « faire la guerre ». Oui, faire la guerre. Quoi de plus étonnant donc, à ce que notre triste sire figure sur la liste des architectes s’étant portés candidats à l’élaboration du futur ministère de la défense dans le quartier Balard, 15ème arrondissement de Paris. Le « Pentagone à la française» doit être sur pied d’ici fin 2014. Ah pardon, « ministère de la Paix en Europe ». Car c’est bien connu, « La Guerre, c’est la Paix ». Mixité sociale, guerre (aux pauvres) ; « L’homme au centre de la ville », la guerre ; « logements sociaux », la guerre.

Notre chevalier capitaliste-écolo est donc à la tête d’une armée, pardon, d’une agence de 100 soldats, pardon, salariés, située dans le 10ème arrondissement (9, Cour des Petites Écuries plus précisément) et répondant au doux nom d’Anma. C’est toujours bon à savoir… Comme il est bon de savoir que notre triste sire est « parano, comme tout le monde, et donc [qu’il] se protège ». Bon de savoir également que l’entreprise qui va réaliser, en plus d’un gros paquet de sous, les plans guerriers de Nicolas Michelin n’est autre que Bouygues, adepte elle aussi de la guerre contre les pauvres, puisque constructrice émérite de très nombreuses prisons en tout genre (taules, centres de rétention, écoles…). Et qui cette fois empoche un contrat qui dépasse les 3 milliards d’euros, pour 467 000 m2 de bureaux qui accueilleront 9 300 salariés, plus le futur loyer compris entre 100 et 150 millions d’euros, pendant 27 années.

Bon de savoir encore que son confrère, Jean-Michel Wilmotte (agence d’architecture au 68 rue Faubourg-Saint-Antoine, dans le 12éme à Paris) ainsi que les Ateliers 2/3/4, vont l’assister dans cette juteuse besogne, pour laquelle d’autres requins et autres « gladiateurs aguerris » (des architectes donc) étaient également sur les rangs : Norman Foster pour Eiffage, et Dominique Perrault pour Vinci.

Bon de savoir que tous ces tristes sires ont bien sûr un nom et aussi des adresses, pour leur dire toute la haine que nous inspirent les États, leurs sales guerres de pacification sociale, les marchés qui y sont liés, et tous leurs collaborateurs, dussent-ils se présenter sous le masque « humaniste et écolo ». La haine de l’urbanisme, qui n’est rien d’autre que la continuation de la guerre sociale sous d’autres formes.

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Trois compagnons arrêtés à Belleville et incarcérés

En juin 2008, des sans-papiers foutaient le feu à leur taule. La plus grande prison pour étrangers de France, le centre de rétention de Vincennes, partait en fumée, nous en avons déjà parlé dans ces pages. Une dizaine de retenus, choisis « au hasard » avaient servis d’exemple lors d’un procès dont l’issue ne laissait place à aucune surprise (des peines allant de 8 mois à 3 ans de prison ferme).

Depuis l’incendie, des dizaines et des dizaines d’actes de solidarité à travers la France ont entaché le calme et le silence que voulait imposer cette justice de paix : tracts, affiches, déambulations sauvages et bruyantes, sabotages de distributeurs de banques qui balancent leurs clients sans-papiers aux flics, poses de banderoles, attaques incendiaires, boutiques défoncées et occupations ravageuses des collabos de la machine à expulser et de leurs locaux ainsi que de nombreux tags et autres formes diverses et variées.

S’enclenche alors une campagne de presse qui nous parle d’une mystérieuse « Mouvance Anarcho-Autonome Francilienne » (MAAF) décrite telle une organisation terroriste structurée, et qui serait responsable de toutes ces attaques. Bien sur il s’agit d’un montage policier, personne ne se réclame d’une telle mouvance à notre connaissance. Cette grotesque catégorie imaginaire ne sert en fait qu’à préparer le terrain pour la répression et foutre au trou des personnes qui luttent pour neutraliser la lutte.

La première réponse de l’Etat arrive en février d’abord, puis en juin 2010, lorsqu’une dizaine de personnes sont perquisitionnées et arrêtées par la Section Anti-Terroriste de la Brigade Criminelle du 36 quai des Orfèvres dans le cadre d’une instruction ouverte autour de cette lutte sans médiation contre la machine à expulser et menée aujourd’hui par la juge Patricia Simon. La plupart des personnes sont mises en examen, les appartements fouillés, ordinateurs, téléphones, bouquins ou vêtements sont saisis par les flics. Malgré les refus de signalisation, l’ADN est souvent pris de force ou prélevé sur des brosses à dent et des sous-vêtements. Personne n’est incarcéré et tout le monde ou presque sort avec un contrôle judiciaire sur le dos.

En janvier 2011, trois compagnon/nes se font prendre en pleine rue par la BAC dans le quartier de Belleville. Ils sont accusés d’avoir apposés sur les murs de Belleville des tags solidaires avec les insurgés de Tunisie et d’ailleurs: « Alger-Tunis-Partout Insurrection », « Nique la police », « Les prisons en feu, la Croix-Rouge au milieu », « Feu aux états », « Mort au pouvoir », « Crève L’État », « Guerre sociale », « Vive l’anarchie », « Vive la révolte » ou encore « Comme en Algérie, feu aux flics » (selon l’enquête des flics). Lors des perquisitions chez eux, sont présents des flics anti-terroristes, des RG de la DCRI ainsi que des flics du XXe, visiblement intéressés par ces anarchistes du Nord-Est Parisien. Les trois seront récupérés par la Section Anti-Terroriste pour finir leur garde à vue par une incarcération préventive: Camille est emprisonnée à la prison pour femme de Fleury-Merogis tandis qu’Olivier et Dan sont eux incarcérés à la prison de la Santé. Camille, qui sera libérée une semaine plus tard, est maintenant assignée à résidence avec interdiction de voir ses amis et compagnons et de sortir de chez elle (sauf pour travailler ou étudier). Dans le même temps un camarade, lui aussi mis en examen en 2010, est arrêté à Bagnolet, puis placé en détention à Fleury-Mérogis où il restera une dizaine de jours.

Les contrôles judiciaires de Dan et Olivier leur interdisaient d’entrer en contact, puisqu’ils étaient déjà tous les deux accusés (lors des rafles de 2010) notamment de « destructions ou dégradations par l’effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes », c’est-à-dire d’avoir bouté le feu à des distributeurs de banque, mais aussi individuellement d’autres faits de dégradations (tags sur et dans des banques, ravages chez des collabos de la machine à expulser comme Air France, Bouygues etc.). Ils sont donc incarcérés pour tout cela et notamment sous prétexte que le tag est une «forme minimale d’action directe » et qu’ils ne respectaient pas leur contrôle judiciaire…

De nombreuses actions, rassemblements, discussions et autres initiatives ont lieu en solidarité avec eux et pour continuer à poser la question des prisons pour étrangers et des frontières (voir quelques brèves dans ce numéro).

Après trois mois de prison préventive à la maison d’arrêt de la Santé, les deux sont sortis à la mi-avril avec un nouveau contrôle judiciaire: interdiction de se voir, pointage toutes les semaines chez les flics, et 2000 euros à payer chacun pour « frais de justice » et le «dédommagement des éventuelles parties civiles »… Cette somme est mensualisée, c’est à dire qu’ils doivent payer 200€ chacun par mois jusqu’à ce que le compte soit bon, la carotte étant que s’ils ne payent pas chaque mois, ils seront réincarcérés. Des initiatives de solidarité sont d’ores et déjà prévues pour assurer un soutien financier afin de leur éviter un autre passage par la case prison. On pourra écrire à libertepourtous@riseup.net pour faire part de nouvelles initiatives.

Ce n’est ni la première ni la dernière fois que l’État essaye d’imposer la résignation ou la prison à des antiautoritaires, que ce soit sous le prétexte de la lutte anti-terroriste ou non. Parce que nous partageons le désir de liberté qui est le leur et la lutte pour un monde débarrassé des frontières et de tous les rapports sociaux qui nous enferment, ne laissons personne seul face à cette alternative dégueulasse. La lutte contre la machine à expulser à travers la France, l’Europe et ailleurs est une lutte à forte dimension collective, et l’État veut désormais faire payer ces deux camarades en espérant ainsi les isoler du reste de la lutte.

Ci-après une affiche que vous avez peut être déjà croisée sur les murs du quartier quelques jours après que les trois de Belleville furent incarcérés :

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Feu à toutes les prisons !

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La prison… On en a tous vaguement une idée, un reportage à la TV, un énième assassinat de l’administration pénitentiaire à la rubrique faits divers des journaux du jour, de brèves indignations à peu de frais par-ci par-là. On en entend tous parler, et on fait comme si cela n’existait pas. Comme si chaque jour des dizaines de milliers d’entre-nous n’étaient pas les otages de l’État, seuls dans leurs périples carcéraux individuels, isolés de tous et réprimés en silence. Pourtant nous sommes tant à avoir un frère, une amie, un cousin en taule, à visiter un proche incarcéré au parloir, nous sommes tant à finir par trouver cela banal. Un petit séjour en taule, après tout, on est pas mal à y avoir goûté, une fois, deux fois, trois fois ou plus, de près ou de loin, dans les faits ou par procuration.

Enfermer des êtres humains dans des cages de quelques mètres carrés pendant des mois ou des années, annihiler toute volonté en eux, les presser comme des citrons, les briser, les empêcher d’aimer, les harceler, les droguer, les frapper, les juger, les tuer, les traiter comme personne n’ose traiter de la merde et les soumettre à un travail de forçat ; la taule, c’est la barbarie dans toute sa banalité, c’est le règne total d’une poignée de sadiques et de petits exécutants obéissants. C’est le dernier souffle d’une balle qui vient se loger droit dans notre tête pendant que tout le monde regarde ailleurs, trop préoccupé par sa propre misère. C’est la manière par laquelle ce monde se venge contre ton anormalité ou contre la concurrence. C’est une des manières par lesquelles ce monde force la paix.

La prison a au moins un mérite, avec elle les choses sont claires : pas de bla-bla ou presque, une société qui a besoin de prisons pour se maintenir est une société qui a déclaré la guerre à une partie d’elle-même. Une société qui s’enorgueillit de gérer avec tant de violence ces usines de mort est une société qui offre son cou à la guillotine de la révolte, qui justifie la nécessité de sa destruction. Ils auront beau réformer les prisons en long et en large, plaquer les cellules d’or, les climatiser ou raccourcir la taille des matraques, les coups feront toujours aussi mal et la prison restera le même problème qu’elle aura toujours été. C’est l’audace de la liberté qui importe, pas la lâcheté du statu quo de l’aménagement de la contrainte.

Une prison acceptable est une prison qui brûle.

On parle déjà d’une trentaine de morts en détention depuis le début de l’année. On ose encore nous parler de suicides et d’accidents… On ose insinuer qu’il est anodin de se pendre dans une prison, qu’il est anodin de mourir « accidentellement » sous les coups des matons ou d’autres détenus. On nous parle de « suicides » pour faire croire que ce n’est pas l’Administration Pénitentiaire et l’État qui tuent. Mais nous affirmons que chaque mort en prison est un assassinat de l’Administration Pénitentiaire et de l’État. Considérer les choses autrement, c’est affirmer que les conditions de vie du dehors et du dedans sont les mêmes. C’est affirmer que la prison n’existe pas. Et pourtant le dedans et le dehors ne se différencient que par leur degré d’intensité. La prison n’est rien d’autre que le reflet exagéré de cette société qui se regarde dans un miroir grossissant.

Tout est pire que dehors en prison, et pourtant, tout est tellement pareil que dehors…

La même merde, les mêmes mécanismes autoritaires, la même domination, la même violence inhérente à la paix sociale, le même fichage, les mêmes rapports dégueulasses entre les gens, qu’ils soient économiques ou sociaux.
Il est si difficile de parler sereinement de la prison. Il est si difficile de ne pas se laisser plomber par l’atmosphère poisseuse qu’elle disperse autour de nos vies. Mais ce ne sont pas des larmes qui en viendront à bout, au contraire, on ne peut que se noyer avec des larmes. L’indignation, elle, n’a jamais fait tomber un seul mur, et l’on ne viendra jamais à bout de la prison par le biais du Droit ou de la Loi, puisque c’est de leurs pierres qu’elle est construite.

Dans cette société qui a besoin d’enfermer : prisons, psychiatrie, centres de rétention, gardes-à-vue, internats, écoles, maisons de retraite, camps humanitaires, usines, hôpitaux, centres éducatifs fermés, barres d’immeubles, établissements de réinsertion scolaire etc. Dans cette société où certains font le choix de devenir mâtons, juges ou flics, notre choix est clair : Feu à toutes les prisons. Feu à l’État.

Les prisons doivent être détruites une par une, pierre par pierre, maton par maton, juge par juge.

Détruisons les prisons en détruisant la société, parce qu’une société qui a besoin d’enfermer et d’humilier est elle-même une prison.
Détruisons les prisons avec rage et joie.

[Affiche trouvée sur les murs de plusieurs villes, juin 2011]

[in italiano]

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« Dans la vie, on ne choisit pas »

Oui monsieur, tu as parfaitement raison, moi non plus je n’ai pas choisi de me retrouver derrière la porte, cette même porte que tu es payé pour ouvrir et fermer à clé dix, vingt, cinquante fois par jour.

Non monsieur, moi non plus je n’ai pas choisi que tes collègues flics en civil m’attrapent dans la rue, pour me fourrer dans une première cellule, puis dans une seconde, puis m’incarcérer. Certes monsieur, la société est très laide, et personne ne semble l’avoir choisie, ni choisi de devoir y vivre dès la naissance. Personne ne semble avoir choisi, dépossédé de tout, de devoir mettre son corps au service d’autres hommes et femmes, d’institutions froides et autoritaires ou d’entreprises impersonnelles, pour faire leur sale besogne et les engraisser. Personne ne semble avoir choisi cette vie où il faut courir, jour après jour, à la recherche des quelques pauvres sous que nous promet le salaire du chagrin, qu’on fusse boulanger, ouvrier du bâtiment, ou maton comme toi. D’ailleurs, pauvre bougre, tu passeras très probablement plus de temps que moi dans cette chiourme, jusqu’aux 65 ans de ton éventuelle retraite, à raison de six ou huit heures quotidiennes. Comme c’est triste.

Parce qu’on ne choisit pas, n’est-ce pas? Travailler pour travailler, alors quelle sorte de travail, quelle importance? Que je travaille, que tu travailles pour le PDG de Peugeot, pour la Mairie de Paris, pour le Ministère de la Justice ou pour l’Éducation Nationale, quelle différence cela peut-il bien faire, puisque le salaire sera -à peu de choses près- le même, et que l’argent n’a pas d’odeur…

Ahh, la vie est dure, je ne te le fais pas dire, alors autant se mettre à l’abri et s’en tirer le moins mal possible, non? Tu as choisi d’être un rouage de la machine étatique à enfermer les hommes et les femmes que la société juge indésirables. Mais que dis-je! Non, bien sûr, c’est la société qui a choisi pour toi! Et d’ailleurs, me diras-tu, qu’est-ce que ça veut dire « machine étatique à enfermer? » Après tout, tu ne fais que ton métier, et avec humanité en plus: tu me diras « Bonne soirée monsieur » en refermant la porte dans mon dos après m’avoir poussé dans les dix mètres carrés de ma cellule. Tu me diras « Bon appétit monsieur » après avoir tenté de me faire avaler une bouffe infâme et remplie de calmants. Peut-être même me diras-tu « Désolé monsieur » après m’avoir tabassé pour indiscipline…Et ta collègue infirmière se pâmera du même sourire de mort en filant du Subutex à mon compagnon d’infortune. Elle aussi, elle aurait pu être ébéniste, ou cosmonaute, ou livreuse de pizzas, quelle différence, quelle importance?

La société est un vaste marécage aux eaux troubles, il est difficile d’y voir clair et de s’orienter. On semble s’échouer sur cet îlot comme on aurait pu atterrir sur celui-ci, poussé par le vent du destin et le courant de la fatalité, quand ce n’est pas par la marée des voies impénétrables du Seigneur, ou les « Lois de l’Histoire ».

Toi qui tiens les clés capables d’ouvrir une à une chaque cellule de la prison et d’en laisser sortir chaque prisonnier, tu irais presque jusqu’à me dire que je pourrais très bien être à ta place (et toi à la mienne?). Moi, toi, un autre, de toute façon, il y aura toujours des prisons, des matons et des prisonniers, n’est-ce pas?

Et bien tu te trompes, foutu garde-chiourme, valet de l’État. Moi je suis à ma place, et toi à la tienne. Entre toi et moi, il y a plus qu’un uniforme, des bottes et un trousseau de clés, il y a un choix. Je suis pour ma part révolté contre la société et j’ai choisi de la combattre. Peut-être trouves-tu la société mal faite, moche et injuste, qu’importe, tu as décidé d’être à son service, au service de l’autorité, au service de ce monde d’enfermement et de répression.

À l’heure où la peur changera de camp -et que cette heure vienne!- te diras-tu encore que tu n’as pas le choix ?

Mon garçon, tu n’es qu’un maton, tu vendrais ta mère pour le SMIC.

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Lettre d’un Bellevillois exilé: Belleville, c’est la Santé !

C’est drôle ça ! Là où je me trouve en ce moment, c’est un peu comme à la maison. Je vis temporairement dans une colonie du XXe arrondissement installée dans le XIVe arrondissement. On y retrouve d’ailleurs les mêmes têtes, le même style architectural, les mêmes rapports économiques dégueulasses mais aussi parfois les mêmes gestes de solidarité dans cette autre citadelle de pauvres. Une chose est sûre, ici les bobos ne viennent pas nous coloniser… La flicaille est à peu prés la même, les barres d’immeubles, la grisaille, la pourriture et les cafards dans les taudis aussi. Puis comme à Belleville, on y vit les uns sur les autres sans espaces de respiration, on y est parqués comme de la merde, sexuellement et socialement frustrés, en colère ou soumis. Ici comme dans chaque recoin du nord-est de paname, il y a les balances, les collabos, le racisme et les petits privilèges, les petites identités en concurrence avec celles des autres, les riches et les pauvres, avec ou sans papiers, les petits chefs, les pharmacies ambulantes officielles ou sauvages, les bastons, les toxicos… Ici aussi on noie l’ennui dans la came, la prière ou la télé. Les amitiés et les inimitiés fleurissent, on passe de serrages de mains chaleureux à des coups de pieds dans la gueule, des joies aux larmes, de ces instants magiques d’entraide, de complicité et de solidarité aux pires instincts de survie aux dépens des autres, la même montagne de rapports dégueulasses et troubles entre les gens. Ici aussi on pleure en cachette, on rit aux larmes dans la beauté de ces instants imprévisibles de résistance collective et spontanée à l’autorité. Ici aussi on chie là où on mange.

De Belleville à Menilmontant en passant par Stalingrad, Couronnes, Place des Fêtes, Barbès ou Château-rouge, les autorités déferrent ici une bonne partie de leur jeunesse cramée pour pérenniser la colonie pénitentiaire. Cette colonie dont je vous parle, c’est la Maison d’Arrêt de la Santé dans le XIVe arrondissement de Paris

Ceci était une lettre anonyme reçue depuis la prison de la Santé, la dernière prison à détruire à Paris.

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Les aventures de M. Saquedur

Appelons-le M. Saquedur. M. Saquedur est magistrat, juge si l’on préfère. Et M. Saquedur n’est pas content, mais alors pas du tout : à la télé, le président Sarkozy a dit que lui et ses collègues n’étaient que des bananes, pas foutus d’empêcher une jeune fille de se faire découper en morceaux. Alors là, rien ne va plus, pense M. Saquedur. Il n’en peut, mais fi donc ! pense-t-il. Cela ne se passera pas ainsi.
Alors, dans sa robe dont il est si fier, il va manifester avec ses collègues pour dire que là, ce n’est plus acceptable, appuyé par tout ce que la gauche compte de professionnels de la pancarte indignée. « Que cesse », « que cesse », s’exclame-t-il ainsi.
Pourtant, nous n’avons aucune sympathie pour notre « ami » Saquedur, ni pour aucune de ces charognes en toges qui peuplent les tribunaux. S’opposer « à Sarkozy » ne veut rien dire de bon en soi : des matons qui bloquent parfois les centrales aux flics qui réclament plus d’effectifs, des CRS en grève de la faim à Marseille jusqu’à, donc, nos niquedouilles à rubans de la justice qui s’insurgent d’être traités de tocards, les professionnels du contrôle social savent aussi se manifester quand ils sont « pas contents, pas contents ».
Mais, tels les taulards qui, lors d’affrontements entre policiers et matons, chantaient « allez les deux » pour que les deux porte-uniformes assassins se blessent mutuellement, nous n’avons pas plus de sympathie pour le chef de l’État que pour les juges.
M. Saquedur, comme tous ses collègues, a fait un choix très clair : il a décidé d’être le bras de l’Etat pour cogner sur les pauvres qui ne s’insèrent pas comme on leur a demandé.
Quand on se prend des TIGs, des jours amendes, de la taule avec ou sans sursis, qu’on finit entre quatre murs, qu’est ce qu’on peut bien en avoir à faire d’avoir été condamné par un juge de gauche ou de droite, qu’il ait ou non sa carte au Syndicat de la Magistrature ?
En tant qu’exploités soumis au jour le jour à la pression policière, à l’écrasement par le travail et à la menace des tribunaux, que peut-on en avoir à faire de « l’intervention du chef du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire » ?
Pour tout dire, on peut aussi être carrément contre tous les pouvoirs.
Ces andouilles en toge, bien cravatés et bien soldés, voudraient en plus que l’on s’apitoie sur leur sort, que l’on relaie leur lutte, alors que demain, les mêmes pourraient nous envoyer au trou ?
Qu’ils crèvent. Les juges sont les ennemis de toutes celles et ceux pour qui le mot « liberté » résonne encore un peu au fond du cœur.

Ni justice, ni paix.

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Ni dictature ni démocratie

Dans tous les pays touchés par la vague de soulèvement au Maghreb et au Moyen-Orient on nous parle de «révolutions démocratiques», de «progrès», d’un «sens de l’Histoire», comme si l’humanité avait pour finalité d’instaurer la Démocratie. A vrai dire, l’histoire est traversée de soulèvements similaires qui ont fini par êtres récupérés par une poignée de politiciens, d’opportunistes, de militaires ou d’intellectuels sortis de nulle part pour prendre le pouvoir.

Il s’agit pour eux de profiter d’une situation chaotique, et donc instable politiquement, pour plaquer et imposer leurs schémas politiciens et idéologiques sur l’ensemble des insurgés. Comme si «les insurgés» pouvaient être compris comme une foule ou une armée homogène, tous mus par une même volonté. Mais ce racket ne marche pas toujours, et il faut parfois faire couler le sang, en reprenant à son compte les outils répressifs du régime précédent. Nous n’affirmons pas pour autant que ces soulèvements avaient pour aspiration l’abolition de tous les pouvoirs comme nous le souhaiterions, mais nous refusons que quiconque affirme qu’il s’agissait d’instaurer la démocratie contre la dictature. De toute façon, qui oserait dire avec certitude (à part quelques démocrates) ce que pense une foule de millions de personnes?

Nous vivons en démocratie, pas de doute là-dessus, et tout est là pour nous montrer que la liberté n’y est pas, que le rêve démocratique est un cauchemar. Rafles de sans papiers, guerres entre États, massacres de populations, prisons surpeuplées, misère, vie militarisée. Au fond la seule différence, c’est l’intensité. La fausse opposition qu’on nous vend entre démocratie et dictature est censée nous faire oublier que ce ne sont là que deux modes de gestion différents du capitalisme. Or, nous pensons que le problème c’est le pouvoir en général, et le capitalisme en particulier. Gérer la merde différemment, c’est gérer la merde quand même. De plus la démocratie, aussi parfaite soit-elle, est elle-même une forme de dictature, celle d’une majorité fabriquée, particulièrement efficace et «légitime» lorsqu’il s’agit de réprimer toute forme de dissensions, puisque cette répression est censée être approuvée par «le peuple», ce qui est plus ou moins le cas dans la réalité. Qu’est-ce que serait censé nous apporter une démocratie plus directe, ou plus participative? Le fait d’être en majorité, par exemple, ne garantit rien contre la barbarie d’un groupe social contre des boucs-émissaires, comme l’histoire nous l’a démontré.

Il n’y a qu’à voir comment la démocratie s’instaure ou s’exporte, comme toute autre forme de régime, c’est à dire par la guerre, l’occupation et les charniers. Le pouvoir, qu’il soit démocratique ou dictatorial, se trimballera toujours, de par sa nature, sa traînée de mort et de sang. Il n’y a qu’à voir aussi comment elle se maintient: par la répression, l’apparence de la liberté, la création d’ennemis intérieur, le faux-confort de la marchandise et le divertissement… et surtout la paix sociale. La paix sociale c’est quand les pauvres savent rester à leur place, acceptant leurs conditions, ou ne désirant rien d’autre que les miettes qui leurs sont jetées.

La démocratie, c’est la servitude volontaire. C’est la gestion ou la neutralisation de toute forme de conflit, qu’il soit inter-individuel ou social, l’usage de la violence n’étant réservé qu’à certaines catégories professionnelles, et présenté chez les autres comme une maladie à traiter.

Mais cette paix sociale et ce monopole de la violence sont régulièrement critiqués en actes par des révoltés. Aux quatre coins du monde, en démocratie comme ailleurs, des prisons brûlent, des insurrections éclatent, des petits ordres du quotidien ne passent plus, et l’apathie est laissée aux lâches. Mais nous sommes tous capables de lâcheté comme nous sommes tous capables de nous révolter.

Pour l’insurrection, pour l’anarchie.

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Au boulot les lépreux !

Vous avez sûrement remarqué dans le métro il y a quelques temps, entre deux contrôles de tickets, d’immenses affiches montrant en 4×3 un lépreux, visiblement mal en point. Cette affiche, dans le pur style misérabiliste de type « les pauvres sont dans la merde, donnez-nous des sous pour qu’on s’occupe d’eux », contenait évidemment un appel au don, mais pas pour ce qu’on croit. En effet, en dessous de l’énorme « la lèpre exclut ! » censé nous arracher larmes et chèques mensuels, se trouvait inscrit le véritable objectif : « réinsérons les lépreux ! ».
Il ne s’agissait donc pas, comme dans l’humanitaire classique, de transformer des milliers d’euros en quelques kilos de riz, après s’être copieusement sucré au passage, mais, encore pire : ce damné de la terre, s’il en est, au nom duquel on veut nous soutirer du fric, il s’agit de le mettre au travail !

Quand on sait que travailler consiste pour l’essentiel à se vendre morceau par morceau à un patron, on voit l’extrême cynisme qu’il y a à demander ça… à un lépreux.

Mais les lépreux ne sont pas les seuls à être touchés par la lame de fond travailliste. Pour preuve les propos de Marie-Anne Montchamps (députée UMP, à l’époque présidente de FondaMental, fondation qui récolte des fonds auprès de très grandes entreprises pour la recherche) ; « Aujourd’hui une personne sur quatre traverse un épisode dépressif ou rencontre un problème de santé mentale. Que se passe-t-il si nous mettons entre parenthèse un quart de notre ressource humaine ? Nous nous disqualifions totalement de la compétition économique ».
Nous y voilà, dans les deux cas ce qui est grave n’est ni de voir ses membres partir en morceaux, ni d’être mal dans sa peau (en fait surtout mal dans ce monde), non, ce qui est important c’est que ni les lépreux ni les « malades mentaux » ne contribuent à la compétition économique et à la richesse nationale !
Bande d’ingrats, on ramasse vos doigts, on triture vos cervelles à coups d’électrochocs et de médocs et vous voudriez avoir le droit de rien foutre en retour ?

Le message est clair : au boulot les lépreux et les fous, les enfants les vieillards et les taulards !

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Consommez écolochic ! (bande de cons)

Deux mini-éoliennes ont été installées dans le quartier, sur la toiture de la Maison de l’Air dans le parc de Belleville. De l’aveu même de ses promoteurs, l’éolien urbain est (et restera) une goutte d’eau dans la mer. Goutte d’eau qui offre à peu de frais une vitrine présentable, « renouvelable », en ces temps d’éco-citoyennisme triomphant dans un pays où la majeure partie de l’électricité produite (par les mêmes entreprises d’ailleurs) est d’origine nucléaire. Un replâtrage qui montre une fois encore qu’à chaque nouveau problème (qu’on veut bien reconnaître, ou qu’on ne peut plus cacher) correspond l’ouverture d’un juteux marché.

Peur de l’effet de serre et du réchauffement climatique aggravé par l’utilisation du charbon et du pétrole ? Heureusement que la France est experte dans l’art de l’atome, des voitures nucléairement rechargeables (Autolib) devraient bientôt être à votre disposition sur le modèle des velibs, pas de fumée, pas de feu !
Peur qu’uranium, plutonium et autre fissionnent en dehors des endroits prévus à cet effet, que les « fuites minimes », rebaptisées parfois en « anomalies » ou « écarts » (plusieurs centaines par an en France) se multiplient, d’un accident à la japonaise ? A l’heure ou ces lignes sont écrites on annonce la mise en place prochaine de circuits touristiques autour des restes de la centrale de Tchernobyl. Cet « éco-tourisme » de l’extrême est-il la dernière frontière pour quelques bourgeois nihilistes en mal de frissons ? Ou peut-être un simple avant goût des campagnes de demain…

Pas de problèmes, enfin pas trop : avec une éolienne et deux panneaux solaires sur le toit il ne vous restera plus qu’à raccorder un vélo d’appartement et une ou deux cages à hamster à votre compteur et vous devriez pouvoir continuer à passer l’aspirateur en regardant la télé pendant que téléphone portable et trottinette électrique se rechargent… Parce que la question de l’énergie est directement liée au monde de marchandises qu’on nous impose et que nous refusons trop rarement.

Avec le capitalisme vert, l’essentiel est sauvé, les usines peuvent continuer à produire des saloperies que la pub se chargera de faire acheter aux gens, l’estampillage « BIO » remplaçant dans leur prose un « made in France » passé de mode, plus dans le coup (quoique, trouvez un produit à la fois Bio et Made in France, et c’est l’orgasme citoyen assuré, des verts au FN).

Pour essayer d’entrevoir la liberté, commençons par dégager de notre horizon, mental et physique, toutes les pacotilles que les marchands y entassent, qu’elles soient made in n’importe où, bio ou pas…

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Je suis vengeance – Je suis le désordre

Quand j’étais petit, je me souviens, chaque chose nouvelle que je voyais, je le vivais comme une découverte incroyable, cette fleur d’un violet époustouflant, le comique dans la cour d’un pigeon à sa dulcinée, les visages si différents et si passionnants de tous les hommes et femmes de cette planète, la beauté d’un ciel orageux d’été, d’une chanson, les petits tours du magiciens… Au fur et à mesure que coulait le fleuve de mes années, je peinais de plus en plus à laisser la beauté ne pas être obscurcie par le reste du tableau qui compose ma condition, la condition de tous. Je ne pouvais plus rater la grisaille et les murs, les chaînes, les bottes et les bâtons.

Ce qui différencie l’« enfant » de l’« adulte », c’est la résignation, c’est l’incapacité à trouver la beauté là où elle se cache, c’est l’incapacité à prendre les risques nécessaires à tout bouleversement majeur, c’est la raison qui rappelle à la passion de calmer ses ardeurs, c’est l’esclavage infini qui reprend le dessus sur le désir de liberté, c’est l’adaptation, l’intégration, la fin, la mort.

Aujourd’hui, lorsque je vois fleurir les pâquerettes entre les barbelés d’un camp, je ne vois plus que le camp.

La lucidité est un fléau, elle vous permet de lire entre les lignes, d’apercevoir derrière chaque institution la fonction domesticatrice, derrière chaque cravate le prédateur, derrière tant d’individus le possible ennemi, d’identifier la source de mes malheurs, de mettre des mots et des noms dessus, de mourir un peu moins con mais toujours aussi perdant. Ce n’est pas elle qui me délivrera de l’oppression.

Avec tout ce que ce monde m’a enlevé, qu’il s’agisse de mon corps ou de mes sentiments, l’être qui domine en moi maintenant est un être de vengeance. Vengeance contre les profs qui m’ont forcé à m’incarcérer contre un bureau qui n’était pas le mien, contre les flics et les matons qui m’ont humiliés physiquement et psychologiquement dans leurs cellules poisseuses, contre les patrons qui m’ont pressé comme un citron, vengeance contre ce monde qui m’enlève toute possibilité d’aimer comme je le veux, de disposer de mon corps et de mon intégrité. Vengeance, pas de trêve, pas de reddition, pas d’armistice, pas d’amnistie, pas de pardon, la guerre. Saper, combattre, piller, haïr, détruire, tout niquer.

Mais cet autre monde que je porte en moi, que le mot anarchie tente difficilement de contenir dans une définition forcément trop réductrice – la liberté, mon individualité, la destruction de toutes les chaînes- telle est la plus haute expression de ma vengeance.

Vivre sera l’ultime vengeance contre la crétinerie.

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Le feu aux bunkers !

Mais qu’est-ce qui pourrait bien nous arriver dans un bunker social sécurisé ? Que pourrait-il bien se passer dans nos vies avec un flic à chaque coin de rue, une camera à chaque carrefour, un juge prêt à sanctionner tout écart, une morale qui s’insinue dans nos têtes jusqu’à réprimer tout désir et faire de nous-mêmes nos propres flics ?
Prévention de la délinquance, principe de précaution, évaluation des risques, assurance vie, tel est le vocabulaire d’une société malade de ses peurs et de ses inquiétudes, malade d’elle-même. Peur de l’autre, peur de soi-même, inquiétudes pour l’avenir, on étouffe.
Vaut-il mieux vivre avec le risque de se faire agresser en pleine rue ou bien sous le contrôle permanent des flics et de l’État ? Le meilleur moyen, au fond, d’éviter tout incident et de garantir le risque zéro, c’est de mettre fin à sa vie et à tous les risques qu’elle comporte.

Seulement, nous voulons vivre, diaboliquement, dangereusement, avec insouciance, aventure, risques, avec fureur. Parce que la liberté c’est aussi un choix, un choix risqué. Parce que vivre dans un bunker est certainement le seul moyen de vivre en toute sécurité et sans vie.

Si c’est ce que tu veux pour ta vie, survivre sans l’intensité propre à la vie, après tout, libre à toi, mais alors ces quelques feuilles ne sont pas faites pour toi, le monde que nous portons dans nos cœurs orgastiques non plus.

Nous préférons le risque de la liberté à la sécurité d’une tombe. Alors à l’attaque !

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Lucioles n°2 – janvier/février 2011

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Pour lire le bulletin texte par texte : Numéro 2

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