Non vraiment, t’aimes ton quartier ?

Dans ce monde où tout ressemble de plus en plus à une prison (prisons, hôpitaux psychiatriques, maisons de retraites, écoles, supermarchés, temples en tout genre, centres de rétention, transports, usines, urbanisme concentrationnaire, parcs et aires de jeux, logements, administration, etc.) il y a plusieurs choix possibles : la révolte et la lutte contre cet existant qui nous étouffe, la résignation, l’indifférence et la réappropriation des rapports de domination qui régissent cette société.

Se réapproprier la merde, c’est par exemple être fier de ta taule (avec barreaux) de ton quartier (sans barreaux), de ton petit bout de trottoir, de ton boulot de merde, ton « identité » et même de choses totalement anodines ou qu’on nous a collées sur la gueule à la naissance comme la couleur de peau, le nom, les origines, le sexe ou le genre. « 9.3 en force ! » « Fleury-Merogis nique tout ! » « La France aux français ! » « Black Power ! » « Fier d’être juif ! » « Girl power ! » « Corsica nazione ! ». A chacun sa petite fierté identitaire à mettre en concurrence avec celle des autres.
Autant de mécanismes aussi petits et cons que la prétention à l’intégration pseudo-universaliste des républicains, autant de particularismes remplaçant ton individualité en te donnant l’impression de vivre par autre chose que par toi-même. Autant de choses pour nous faire oublier que nous sommes des humains, tous autant que nous sommes, et que nous vivons tous dans le même monde, ce monde de merde.

Ce qui nous différencie les uns des autres, qui nous sépare souvent, nous relie aussi, ce sont nos choix individuels que nous faisons sans l’aide de quelconques directeurs de conscience et sans être déterminés par quelques facteurs « socio-culturels » à la con. Nous entendons être bien plus que du gibier à sociologue et nous ne voulons plus fonder notre cause sur d’autres choses que sur nous-mêmes, ces choses qui nous asservissent comme les frontières, les genres, les communautés, les corporations, les religions, les ethnies, les nations, les patries…

Le 20 juin dernier, des milliers de T-shirts « J’aime Belleville » (avec au dos « Sécurité pour tous » en français et chinois) étaient distribués dans tout le quartier et portés par des habitants de façon joviale et irréfléchie dans une grande messe dominicale de la franche connerie citoyenne, sécuritaire et communautariste. Autant dire que notre sentiment face à cela fut le dégoût, et nous ne parlons même pas des lynchages racistes que nous avons déjà évoqués ailleurs et dont on a déjà discuté ici-même, si tu te souviens.

Au fait, t’aimes quoi au juste dans ton quartier ? Les flics qui jouent aux cow-boys, leurs caméras à tous les coins de rue, l’exploitation, les taudis pourris qu’on te loue la peau du derche, le vigile du ED de la rue de Belleville qui te tripote en permanence, les barres d’immeubles qui te barrent l’horizon, le gardien qui t’ordonne de bouger ton cul parce que le parc va fermer, les cafés pour riches qu’on te refourgue au prix d’un repas de pauvre à cause de l’invasion des bobos et autres artistes branchés accrédités par la mairie de Paris pour laver le quartier des pauvres comme nous, cette saleté de came qui nous endort, nous empêche de nous révolter, qui inonde les rues et fournit aux flics une bonne raison pour justifier leur immonde présence, ces tacherons de contrôleurs RATP et leurs têtes à claques, les poucaves et les indics qui te vendent aux condés à la moindre occasion de se faire bien voir ou de se racheter un casier, ces gros bâtards de politiciens et d’éducateurs qui viennent te faire croire qu’ils sont tes amis et qui t’envoient les keufs dés que t’as le dos tourné, les journaflics qui viennent te filmer comme dans un zoo pour montrer leur image du bon pauvre qui bronche pas et qu’en est fier ; ou peut-être bien que ce que t’aimes dans ton quartier, ce sont les rafles de sans-papiers dans la rue, les transports, à la CAF, à la sortie de l’école, et la chasse à l’homme permanente contre biffins et marchands ambulants ? En gros le même merdier qu’ailleurs.

Belleville comme tout autre quartier, c’est avant tout un gros tas de cibles à attaquer et à défoncer, de flics à dérouiller, de frustration sociale et de colère à exprimer et d’exploiteurs à dépouiller ; et toi tu voudrais te réapproprier tout ca ? En être fier et le revendiquer ?
Non, vraiment, respire un bon coup, réfléchis un peu avec tes tripes et ton cœur plutôt qu’avec l’idéologie du 20H et choisis ton putain de camp face à la domination.

Réapproprions nous la guerre sociale plutôt que de la subir en victimes. Battons nous pour un monde de liberté plutôt que pour un bout de trottoir occupé.

Quelques anarchistes et sans-patrie du quartier.

[Tract trouvé en juillet 2010 dans les rues de Belleville, à Paris.]

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