La prison à ciel ouvert

L’architecture urbaine réussit de moins en moins à dissimuler sa véritable fonction sociale. Au fur et à mesure que ses avancées nous enferment toujours plus, le vernis de désintéressement et d’« étude du phénomène urbain » craquelle. L’aménagement de l’espace urbain, du choix des matériaux, de l’emplacement et de la forme du mobilier urbain jusqu’à l’optimisation des possibilités de contrôle et de parcage, n’est pas une science innocente visant à rendre la vie urbaine douce, confortable et adaptée aux besoins de tous.

Il s’agit de permettre aux flics de mener sans entraves matérielles leur chasse aux pauvres. Il s’agit de séparer les pauvres des riches pour assurer la sécurité de ces derniers. Il s’agit de parquer des populations indésirables dans des tours et des quartiers de merde avec des commerces et des terrains de foot pour les occuper. Il s’agit de briser et de rendre la vie invivable à tous ceux qui ont le malheur de vivre dans ou de la rue (prostituées, biffins, sans-abris). Il s’agit de maximiser la rentabilité humaine d’une rafle de sans-papiers. Il s’agit de transformer des quartiers pauvres en quartiers branchés, en augmentant les prix pour repousser les pauvres un peu plus loin dans des banlieues souvent plus étouffantes encore. Tout cela sous la fière bannière de l’urbanisme et de ses diverses formes d’auto-justification: Prévention situationnelle, mixité sociale, assainissement, aménagement, circulation… L’urbanisme est l’un des rouages de cette société de domination, il fonctionne de pair avec le système judiciaire, le maintien de l’ordre, la traque aux indésirables, le système éducatif et carcéral et toutes les autres institutions du pouvoir et de l’autorité.

Il n’y avait donc pas de quoi s’étonner lorsque le 6 septembre dernier, une circulaire interministérielle prévoyait « d’accroître le rôle de la police dans les choix urbanistiques relevant de la politique de la ville ». Avec la circulaire du 6 septembre 2010, la police et les préfets, jusqu’ici limités à un rôle consultatif, sont invités à participer à l’installation de ces dispositifs. En effet, le texte demande aux préfets de généraliser les « études de sécurité publique » à l’ensemble des projets en cours de rénovation urbaine. Des études souvent conduites par des flics ou des gendarmes spécialisés, ou bien confiées à des prestataires privés.

On aménage la ville en fonction des lubies policières, par exemple, ne plus construire de toits plats (pour éviter que des émeutiers y stockent des pierres), améliorer l’éclairage public (qui joue sur le sentiment d’insécurité), ne plus construire d’auvents (pour limiter les rassemblements dans les halls d’immeubles) ou interdire les coursives (perçues comme vectrices de trafics et qui compliquent la surveillance).

Derrière la prise de conscience que la ville est truffée d’espaces propices à toutes sortes de désordres et de subversions, ou plus banalement, d’actes illicites, il y a l’opportunité de réduire encore la cage de chaque pauvre jusqu’à ce qu’il apprenne à ne plus broncher pour se contenter de quelques miettes sociales de pain rassis. Et tout cela s’ajoute au creusement des fossés imaginaires entre « communautés », particularismes et « identités », entre « honnêtes gens » et « délinquants casseurs » à l’intérieur de la ville.

La guerre civile, entre pauvres, ne vise qu’à renforcer le pouvoir. Notre guerre à nous, enragés et révoltés contre l’autorité, ne vise qu’à sa destruction.

En chemin, urbanistes, flics, bourgeois, politiciens, leurs alibis culturels ou humanitaires et tous ceux qui nous ont volé le contrôle de nos vies devront mordre la poussière. Nous vivrons, parole de sauvages.

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