Ça commence à faire beaucoup, un jour c’est l’armistice, un jour c’est la fête de la lune, un autre, c’est une manif citoyenne ou un match de foot… des drapeaux, encore des drapeaux: chinois, français, européens, algériens, tunisiens… C’est à se demander si la mémoire est encore une faculté humaine. Qui ne se souvient pas de comment sont nées les nations, de ce que l’on a fait au nom des drapeaux, du colonialisme, du rôle du patriotisme dans les guerres que se sont menés les bourgeois à coup de chair à canon pauvre! Tu te sens de mourir pour un drapeau toi? Tous les drapeaux ont tellement été souillés de sang et de merde qu’il ne sert plus à rien de vouloir les laver, reste à les cramer dans un grand feu de joie. Tu la sens pas cette joie qui pourrait nous unir? de dépasser les frontières, les drapeaux, les nations et autres appartenances imaginaires, se reconnaître chacun en tant qu’humains, après tout, notre sang est de la même couleur, notre rage est la même face à la domination, la liberté, elle, pourrait être universelle. Alors dansons sur les flammes du vieux monde, les drapeaux au milieu, des ruines tout autour.
Moralistes, allez vous faire foutre !
Une petite histoire, plutôt sympathique. Car dans la grisaille habituelle, chaque petite étincelle nous réchauffe le cœur et nous donne la force de continuer, malgré les barrières autoritaires qui viennent se mettre entre nous et la perspective de relations humaines libres. Alors quand ces histoires se partagent et inspirent mutuellement les personnes qui les vivent, nous reprenons courage, et l’étincelle peut devenir brasier.
Peut-être oublions-nous trop souvent la religion parmi les ombres qui planent sur nos vies, parmi tout ce qui travaille à nous maintenir à l’état d’objet domestiqués.
Cette histoire, la voici, toute simple: celle d’un quidam traînant du côté du métro Belleville.
On discute, et le type me raconte cette fois où, buvant une petite bière dans la rue, un enfoiré était venu lui prendre la tête, au nom du bon dieu et de ses commandements débiles. «C’est Ramadan frère, tu devrais pas boire d’alcool, tu le sais». Devant tant de moralisme religieux, teinté de fausse familiarité, notre bonhomme envoya le messager de dieu se faire foutre. Celui-ci s’énerva alors et voulu donner une leçon au buveur qui voulait juste qu’on lui foute la paix. Mais preuve en est qu’on n’est pas toujours le plus fort quand on s’abrite sous les tables des lois, le moralisateur se pris cette fois-ci une sévère raclée. Malheureusement pour notre quidam, une patrouille de flics qui passait par là l’embarqua pour l’amener en garde à vue.
Que Dieu existe ou non, à vrai dire on s’en fout. Le problème est que l’autorité et les connards qui la diffusent (en uniforme ou non) existent bel et bien. Et leurs causes néfastes se rejoignent assez facilement, bien qu’on cherche à nous faire croire que Dieu et l’État sont souvent en guerre pour le monopole du contrôle et du rappel à l’ordre.
Voilà donc la religion, et voilà son refus en actes. Les apôtres de cette triste idole, quel que soit le nom qu’on lui donne, ne se contentent pas de sermonner le troupeau de fidèles qui va lui-même s’abaisser au temple, à l’église, à la mosquée ou à la synagogue. Encore faut-il qu’ils viennent nous pourrir la vie dans la rue, partout en fait.
Comme si les profs, les citoyens, les patrons et la police n’étaient pas déjà de trop !
Ils veulent tous nous dresser, nous faire marcher au pas, nous faire réciter tel ou tel catéchisme, religieux ou laïc, bref, nous voler nos vies.
Mais gare à la revanche, quand tous les indomptables s’y mettront…
Tu l’auras dans l’os
« Haaa… Bonjour madame […] alors comment ça va ? Ça fait tellement plaisir de vous voir… »
5 minutes plus tard…
« Putain cette conasse elle m’a encore tenu la jambe pendant une heure avec ses histoires à la con, elle a rien de mieux à foutre ! »
Voilà le genre de phrase qu’on entend à longueur de temps quand on est contraint de vendre ses journées dans ce qu’on appelle le petit commerce. Parce que le client a toujours raison, quitte à lui chier sur la gueule dès qu’il a franchi la porte (et qu’aucun autre portefeuille sur pattes n’est en vue bien sûr).
Parce qu’ « ici c’est familial OK, alors t’es aimable avec les gens », chacun sera traité de la même façon, flic en uniforme, mère de famille ou cadre sup qui transpire le fric, skinhead ou hippie c’est la même chose : « Bonjour, qu’est ce que je peux faire pour vous ? » Personne n’a tort tout le monde a raison devant la caisse enregistreuse. Cette convivialité obligatoire, ce populisme de comptoir teinté du fiel de l’arrière boutique, est surtout destiné à masquer tous les petits calculs mesquins qui sont à la base du petit commerce et qu’on peut résumer ainsi : si « le client est roi », c’est d’abord parce qu’ « il n’y a pas de petits profits ».
Parce qu’il s’agit en priorité de survivre face au commerce tout court, le gros, le méchant, celui des grandes surfaces et des patrons-voyous, du made in china et de la réduction des coûts. Et le petit commerçant est prêt à tout pour se distinguer (entendez pour récupérer des parts de marché, appelées ici clients) de ses gros concurrents, y compris vous exploiter autant qu’eux. Cette menace permanente, à la fois présente et absente (et qu’on peut invoquer à chaque fois que nécessaire), en rappelle d’autres. Les multinationales sont au petit commerce ce que le terrorisme est à la sécurité, ce que le plombier polonais est au travailleur français : un épouvantail facile à agiter et destiné à faire accepter les choses telles qu’elles sont, le commerce le travail et les flics, sous prétexte qu’elles pourraient être pires. En vertu de ça on vous fera venir plus tôt le matin, partir plus tard le soir, on vous fera faire dix trucs en même temps, comme dans une grande entreprise en somme, mais attention c’est pour « faire vivre la boutique », rien à voir avec de l’exploitation donc.
Car si les patrons, pardon les gérants, n’hésitent pas à transférer sur leurs employés toutes les petites humiliations qu’ils sont obligés d’encaisser avec le sourire à longueur de journée, ils aiment faire croire qu’il existe entre eux quelque intérêt commun. Des phrases comme « Ton salaire, c’est le nombre des ventes qui le fait » laissent à penser que ces accumulateurs de capital du dimanche, bien qu’ils travaillent tous les jours, ne sont pas très bons en économie. Le nombre des ventes fait leur profit, le salaire n’est que le minimum de ce qu’il leur est permis de laisser comme miettes de ce profit. La différence est de taille, et l’arnaque visible de loin. C’est pourquoi on peut ‘gonfler’ ce chantage au corporatisme par de sombres prévisions du genre : « Si la boutique coule, c’est toi qui coules aussi ». Confondre « je » et « tu » est une habitude quand ça les arrange. Une fois compris cela la phrase prend tout son sens : « Si la boutique coule, tu iras te faire exploiter ailleurs, un peu plus un peu moins peu importe, mais pour moi c’est la chute, le déclassement, et me voilà bientôt obligé de faire la queue devant pôle emploi comme tout le monde, comme TOI ! Alors pour m’épargner cette humiliation, travaille dur et surtout rappelle-toi : nous sommes tous dans le même bateau. »
Si on en croit un de ces gérants aux petites marges, « c’est de plus en plus difficile de trouver des jeunes qui en veulent » En vouloir, pas de problème, mais à qui ? Dans la longue liste de ceux qui tirent profit de notre misère, le rôle de ces auto-entrepreneurs en exploitation familiale, de ces boutiquiers-contremaîtres est trop souvent oublié, passé sous silence : « ça reste à échelle humaine » dit-on. De l’humain aucune trace au milieu de ces rapports marchands, et la seule échelle visible est celle sur laquelle ils se hissent, à pas de nains, vers la terre promise de l’abondance matérielle et du fric à la pelle qui fait déjà courir, ou plutôt grimper leurs cousins PDG ou actionnaires.
Mêmes méthodes, mêmes pratiques et mêmes objectifs, traitons les tous comme ils le méritent : en ennemis, car ils partagent aussi les mêmes craintes : voir leurs esclaves se retourner contre eux.
Pillons les marchands, petits ou grands !
[Toutes les citations proviennent, hélas, de situations réelles]
Il a fallu que tu l’ouvres !
Tu aurais pu fermer ta gueule, laisser ce type tranquille, ne rien dire, laisser les gens faire ce qu’ils ont à faire, chourer quelques marchandises s’ils le veulent.
Tu aurais pu garder ta foutue loyauté, ton « honnêteté », ta morale putride en toi et pour toi, payer tes courses en intégralité, si ça te fait plaisir.
Sale balance, il a fallu que tu l’ouvres, ta grande bouche de délatrice, il a fallu que tu zieutes dans le sac de ce mec et que tu dises à la caissière: « Il a caché un pack de lait au fond de son cadis ». Trois fois en plus, pour être sûre qu’elle ne ferme pas les yeux et qu’elle finisse par appeler le vigile.
Heureusement, le vigile semble n’avoir rien trouvé, et le type est parti.
Espèce de connasse. Tu aurais voulu faire ta sale besogne de larbin de la marchandise sans conséquences. Tu t’es même étonnée que je te couvre d’insultes, que je te gueule dessus devant tout le monde, que je te crache ma colère comme le moment l’exigeait. Tu voulais le consensus, l’accord tacite, l’Union Sacrée des braves consommateurs honnêtes contre le misérable voleur que tu as désigné à la répression.
Maudite flique bénévole !
Esclave revendiquée, qu’est-ce que ça peut bien te foutre que les gens chouravent dans les rayons d’un supermarché ? Ils offensent simplement ta morale imbécile et servile: «On ne vole pas. C’est mal. Ça mérite punition. Ça ne se fait pas. Sinon c’est l’anarchie. C’est une question d’honnêteté.»
Question d’honnêteté ? Tu as raison. Mais vois-tu, l’honnêteté on te la fout au cul, parce qu’elle ne sert que la loi, les riches, l’État et les marchands. Elle ne sert qu’à nous maintenir esclaves pour toujours. Et toi, non contente d’être cette esclave volontaire à vie, tu voudrais contraindre tous les autres à vivre dans la même merde, jusqu’à en étouffer et à en crever.
Lâche, vile poucave, tu n’as pas le «courage» de ta sale morale et tu confies l’exécution de la répression à d’autres: au vigile, à la caissière, aux flics…
Toutes les bordées d’injures ne seraient pas à la hauteur de ce genre de comportement; et il ne s’agit pas d’une anecdote, car tout cela en dit long sur les innombrables maillons qui tiennent solidement cette vieille société et l’empêchent de crouler. La connasse en question est pauvre, et elle dénonce un autre pauvre, qui ne faisait qu’agir contre la marchandise selon son intérêt.
Nous autres pauvres enragés, nous allons continuer à œuvrer, patiemment mais activement, à la lutte contre ceux qui nous dépossèdent de nos vies, car leur existence et leur pouvoir signifie notre mort quotidienne.
Malgré les balances, malgré les honnêtes citoyens qui ont trop souvent le vent en poupe.
Le vent de la révolte les emportera !
Change de taf !
Près de 2500 salariés de Pôle Emploi venus de toute la France ont manifesté mardi 9 novembre 2010 devant le siège de leur direction générale qui se trouve à la Porte des Lilas. Ils protestaient officiellement contre la suppression de 1800 postes avant fin 2011 (principalement des CDD et des départs non renouvelés) et la dégradation de leurs conditions de travail. Il s’agit de la plus forte mobilisation depuis la fusion ANPE-Assedic.
Autant dire que les suppressions de poste et les problèmes d’argent des salariés de cette véritable machine à humilier, à mettre les individus en concurrence, à punir les réfractaires au turbin, à gérer et à contrôler la misère, on en a rien à péter. Vous crèverez la gueule ouverte avant de susciter la sympathie de ceux sur qui vous vous livrez au chantage du travail et devant qui aujourd’hui, vous n’assumez pas vos responsabilités. Quoi de plus plaisant d’ailleurs, que lorsqu’une CAF, une agence de Pôle Emploi ou d’intérim se fait défoncer ses vitres, que lorsque ses agents se font démolir par des allocataires à bout de nerfs?
Pôle Emploi n’est qu’une boite dont l’utilité réside à la fois dans le contrôle des chômeurs et la pérennisation d’un chômage sous contrôle. Alors vos conditions de travail? Comment ne pas rire…
Changez de taf, ou arrêtez définitivement de travailler, après on pourra discuter.
La chronique du Père Padetan: La peste et le choléra
Haïti, 12 janvier 2010. Un tremblement de terre ravage l’île des insurgés de 1804, soulevés contre la puissance coloniale française pour retomber ensuite sous la coupe de boucher du cru et de la tutelle nord-américaine. 230 000 morts, 300 000 blessés et 1,2 million de réfugiés. Pendant que les médias du monde entier déversent leur pathos sur ces « pauvres noirs qui ne s’en sortiront décidément jamais », une armada aéroportée débarque en trombe, Marines en tête. Les religieux et les humanitaires de tous pays se partagent les charognes, les militaires contrôlent les points stratégiques (aéroport, hôtels, ambassades, ministères). Après quelques semaines, une fois les riches touristes et autres personnels des ambassades et de l’ONU tirés des décombres, on peut dresser des tentes pour les « sinistrés », chasser les « pillards » et ramener en cellule les 4200 prisonniers évadés.
Enfermer la population en camps, empêcher toute auto-organisation en dehors des institutions : c’est à cela que se résume la fameuse « aide » des États. Des camps partout. Pour les indésirables d’ici, sans-papiers ou adolescents rebelles, comme pour les réfugiés de partout.
Des camps en Haïti, bien sûr, mais aussi des uniformes sous l’égide de l’ONU pour éviter la révolte des crève-la-faim. Le 22 décembre 2006 par exemple, ces casques bleus sous commandement brésilien ont tiré depuis leur hélicoptère contre une manifestation dans le plus grand bidonville de Port-au-Prince, à Cité Soleil, faisant plus de 30 morts. En avril 2008, ils ont également participé à l’écrasement des émeutes suite à l’envolée des prix des denrées alimentaires de base, dont le doublement de celui du riz (5 morts, 200 blessés). Le 17 octobre dernier, ce sont les mêmes qui ont réprimé la mutinerie du Pénitencier national de Port-au-prince en abattant des évadés.
Haïti, novembre 2010. Comme de juste, rien n’a changé. La faim et les abris de fortune couvrent toujours l’horizon. Mais trêve de défaitisme, car un événement sans pareil est annoncé pour le 28 novembre prochain, un cyclone d’un nouveau genre : trente beaux millions de dollars, bientôt suivis par 24 000 « kits électoraux » (urnes et isoloirs), vont s’abattre sur les bidonvilles en ruine. Votez ! Votez ! Quelles sont donc ces plaintes mesquines qui crèvent vos estomacs alors que ce qui vous reste de gouvernement vous permet de déléguer votre misère à 11 sénateurs et 99 députés ? Comment osez-vous encore piller des convois humanitaires et manifester contre l’occupation militaire alors qu’ils vous offrent le suprême honneur de communier dans la joie du devoir accompli ?
Un cœur pur de tout ressentiment ne peut que se serrer à la vue de ces 13 000 flics et militaires qui patrouilleront dans les rues à partir du 13 novembre en vue d’assurer le bon déroulement de la farce. D’ailleurs, leurs manœuvres charitables n’ont-elles pas pris le doux nom d’ « Opération Bonjour » ? Ô Hommes de peu de foi démocratique, que l’étroitesse des camps dressés pour vous soulager aveugle ! Ô Hommes que les fusils pointés sur vous pour éviter quelque expropriation ou manifestation rageuse indisposent* ! Que d’ingratitude pour ces uniformes verts ou blancs qui se démènent pour vous empêcher de commettre une terrible bévue, celle de migrer en masse vers les contrées si peu hospitalières d’où ils débarquent !
Dans ce bout de terre où le Palais Présidentiel avait rejoint le quartier général de l’ONU en un même tas de décombres ; où tout état civil et autre bureaucratie policière avaient été en grande partie ensevelis au milieu des cadavres de petits fonctionnaires, le pouvoir a la bonté de vous confier une carte d’électeur en guise d’immatriculation, et vous lui feriez l’affront de la lui refuser ? Le taux de participation à la foire au pouvoir ne dépasserait pas les 11 % prévus ? Vous réserveriez à la peste électorale le même traitement que celui dont on vous a gratifiés jusqu’ici : le mépris ?
Mais la formation de magistrats et la fourniture de 110 véhicules de police par la France, vous croyez que ça coûte rien à l’Etat, peut-être ? Un petit effort pour sauver les apparences, ce serait déjà trop vous demander ? C’est sûr que quand on cherche une excuse, on en trouve toujours : après la peste électorale, voilà qu’on se plaindrait du choléra. Déjà 800 morts, et des dizaines de milliers de personnes touchées. En Haïti, les statistiques de la campagne pour un siège moisi de député s’entrecroisent, froides comme la mort, avec celles des moribonds.
Faire un tout petit effort, disions-nous ? Et voilà comment on est remercié : avant-hier à Kenscoff -30 km à l’est de la capitale-, c’était aussi le 11 novembre. Comme un peu partout, quoi. Mais là, sans plus aucun respect pour une date si chère aux assassins venus à leur rescousse, les habitants du quartier ont tenté d’incendier un commissariat, défoncé le 4×4 du commissaire, dressé des barricades enflammées et caillassé les patrouilles, au prétexte d’un énième abus policier.
Un effort ? Ce serait peut-être d’ouvrir les yeux et de voir qu’ici aussi le monde devient petit à petit un vaste camp quadrillé d’humanitaires (même s’ils se nomment citoyens) et d’uniformes (même s’ils se nomment vigiles), de bouffonneries électorales et de ruines : celles de l’illusion de pouvoir vivre en paix dans un monde de guerre, de pouvoir vivre libre dans un monde de fric et de flics.
Alors, qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu, en Haïti comme partout ?
P. Padetan, 13 novembre 2010
* Le 25 mai par exemple, les forces armées de l’ONU sont intervenues dans la faculté d’Ethnologie pour arrêter un étudiant qui « avait jeté des pierres contre une patrouille des casques bleus », provoquant une mini-émeute autour du campus (barricades, pneus enflammés et encore des pierres).
Il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici
Une chose est sûre, tant que ce monde tournera autour d’un soleil si noircit de cupidité, d’avidité et d’autorité, la vie restera une plaie sur laquelle, quotidiennement, nos maîtres verseront du sel à coup de tabassages, d’humiliation, d’esclavage et d’arrêts maladie refusés. Cette vie est laide, elle nous retire toute possibilité de la saisir, elle nous dépossède de nos moyens les plus précieux de la mener, elle nous lacère le corps en même temps qu’elle nous travaille au cerveau pour nous introniser au sein d’un culte mystérieux de nos propres chaînes, un culte que l’on rejoint aussitôt l’âge adulte, pour apprendre à vivre de mort lente.
La rumeur court, discrètement, à pas de géant, elle ruisselle entre les branches feuillues des arbres, elle coule le long des tonnelles, elle franchit les ponts et les tunnels de la civilisation moderne et se propage comme des écrouelles que ne pourra guérir aucun roi providentiel:
La vie serait à fuir…
Cette vie là, plutôt la fuir vers quelques paradis artificiels. On va se mutiler l’esprit à coup de télévision pour se détourner un instant de notre misérable sort. On va cyber-vivre au lieu de vivre. On va se cramer le cerveau à la beuh pour se neutraliser, à la gnôle pour sortir de soi, au crack pour en finir ou à la coke pour se faire croire que l’on prend nos vies par les rênes. On va s’oublier à la tâche, courber l’échine à n’en plus pouvoir sur des caisses enregistreuses. On va noyer sa singularité sous un uniforme, un drapeau, dans une communauté, la famille, une bande de potes.
On brasse l’ennui à prix de gros.
Éviter à tout prix de se regarder en face, d’être capable de s’asseoir autour d’une table et de penser sans s’interrompre pour quelque futilité technologique que ce soit.
On oublie, on s’oublie, on prend le temps de léviter au-dessus de nos propres vies -regardez dans le ciel, vous les verrez voler- alors qu’en même temps se joue avec urgence le seul enjeu qui vaille la peine d’être affronté avec pleine force:
la liberté.
La rumeur court, discrètement, à pas de géant, elle ruisselle entre les branches feuillues des arbres, elle coule le long des tonnelles, elle franchit les ponts et les tunnels de la civilisation moderne et se propage comme des écrouelles que ne pourra guérir aucun roi providentiel:
il y aurait une autre vie pour laquelle nous devrions sacrifier la seule dont nous soyons sûrs de l’existence…
Fuir l’ici-bas pour un au-delà, fuir la vie pour rejoindre la vie d’après la mort, en priant à genoux, oui, à genoux. Le temple pour seul lieu de discussion, le mythe pour seul moteur, la superstition et l’obéissance pour seul rapport au monde.
Ils nous ont menti, il y a une vie avant la mort, une vie de révoltes, et il n’y a pas d’ailleurs où guérir d’ici.