L’affiche que nous vous présentons ici date d’il y a un peu moins de dix ans, novembre 2004 pour être précis. Signée « Collectif d’Autodéfense Sociale du XVIIIe arrondissement de Paris ». Si nous ne partageons pas nécessairement la volonté de se réapproprier ou de défendre un quartier, qui comme nous le disons souvent n’est qu’un modèle réduit de ce monde de merde, nous partageons la volonté de démasquer les magouilles sociales et immobilières de la mairie et des urbanistes. La « mixité sociale », comme ils disent, est un concept du pouvoir qui n’a pas cessé de servir de prétexte à l’expulsion des pauvres aux confins des dernières frontières que sont les lignes de RER pour y installer bobos, artistes en carton-pâte de la mairie ou nouveaux riches bien protégés par des nuées de flics et de caméras. Cette affiche qui fut collée dans le XVIIIe en 2004 parle bien au-delà, elle pourrait bien parler de n’importe quel quartier du Nord-Est parisien que cela ne changerait pas grand chose. À relire donc.
L’araignée citoyenne tisse sa toile: AC le feu en campagne
Un nom comme le leur ne s’invente pas. Née juste après la retombée des vives flammes de l’automne 2005 qui avaient ravivé le corps de ce pays glacé, l’association AC le feu (pour Association Collectif Liberté Égalité Fraternité Ensemble Unis -sic-) s’est formée pour ainsi dire sur le tas, en groupant d’honnêtes grands frères accourus pour séparer flics et émeutiers. Alors que les émeutes avaient réussi à créer une situation on ne peut plus claire (ou bien la révolte, ou bien sa pacification), le collectif se prétendait «ni d’un côté, ni de l’autre», ce qui dans les faits se traduit toujours par «du côté des flics», même en y mettant du vernis et en avançant masqué. A la mode des syndicalistes courant après les colères de salariés qu’ils veulent enrégimenter afin d’y gagner en représentativité, AC le feu s’est empressé de monter sur la scène médiatique, et les braises de la révolte encore tièdes, d’y servir le bon vieux refrain des «aspirations compréhensibles» des habitants des banlieues. Certes, la colère est «légitime» (on parle déjà le langage du droit, langage qui ne peut appartenir qu’à l’État), les jeunes enragés ont leurs raisons qu’on ne saurait nier, mais maintenant ça suffit. Comme après une catastrophe où tout le monde crie «plus jamais ça», nos représentants auto-désignés ont eu beau jeu d’appeler à d’autres formes de la contestation, d’autres manières d’exprimer sa rage, de façon plus « constructive ». En somme, de passer de l’émeute à la politique, comme le souligne un passage de leurs «cahiers de doléances»: «Il nous a donc semblé indispensable d’agir pour le cessez le feu, attendu que les meilleures armes pour se faire entendre restent encore la participation citoyenne à notre démocratie […]Rallumer la flamme citoyenne dans les cités».
Essai transformé aujourd’hui, puisqu’après avoir patiemment tissé leur toile (bénéficiant pour cela du soutien des pouvoirs locaux), revoilà nos citoyens qui pointent leur gueule à la porte du grand bordel électoral auquel tous les maquereaux se bousculent et jouent des coudes. Leur objectif? «On n’appelle pas à voter pour untel ou untel, non; le but est purement citoyen, il est d’inciter les jeunes des quartiers populaires à s’inscrire sur les listes électorales, afin de faire entendre leur voix. On n’est pas là pour donner une consigne de vote». En somme, le but est de faire baisser l’abstention, c’est à dire la saine indifférence des gens pour le grand banquet des coquins et des guignols qui ont fait du contrôle de nos vies l’essence de la leur. Activant leurs petites cellules territoriales (368 selon leur propre décompte), nos prêcheurs s’en vont cogner à un maximum d’huis afin de convertir chacun-e de la pertinence qu’il y a à mettre un misérable bout de papier dans l’urne, chose ô combien importante pour se sentir vivre. Et n’hésitent pas à s’essayer à l’art du ridicule: «À l’instar des sans culottes de la révolution française de 1789, notre démarche vise à faire remonter l’expression populaire auprès des édiles de la nation.»
Nos braves pèlerins démocrates ont la foi, ils veulent, selon leurs propres termes, initier les gens à la citoyenneté, afin de rattraper ce qui n’a pas été fait à l’école. Et pour ce faire, ils recrutent quelques personnalités charismatiques susceptibles de rendre un peu sexy une perspective qui sentirait plutôt le caveau. Extraits choisis du credo entonné par ces icônes du «spectacle responsable et engagé»:
«Convaincre les jeunes d’aller voter aux législatives. Et puis nous, à AC le feu, on a des membres qui sont rentrés dans les conseils municipaux», «Si l’État ne peut pas nous faire progresser, c’est à nous de faire progresser l’État.»
On y voit un peu plus clair. Si AC le feu quadrille les quartiers à la manière des CRS quand tout menace de cramer, en récoltant au passage quelques fauteuils pour y asseoir leurs gras séants d’ambitieux, c’est justement pour rendre la pacification politique plus présentable, tendre une carotte aux plus récupérables parmi les énervés des bagnes métropolitains pour leur faire miroiter quelques petites miettes lâchées par la généreuse société, quand bien même il n’y aurait plus grand chose à becqueter. Il sera ensuite facile de dire aux irréductibles: «Vous n’avez pas saisi votre chance, tant pis pour vous».
Devant le salutaire mépris que ces bouffons rencontrent sur leur route, ces derniers ont encore une explication: «Les gens sont souvent réfractaires, c’est culturel».
Nous pourrions nous étaler à l’envie sur leur cas, mais nous leur laisserons ce pathétique mot de la fin, richissime en crétinerie. Mais à toute fable sa morale, en voici une qui sonnerait pas mal:
Pas AC le feu, vive le feu !
Le criminel, c’est l’électeur !
Placard anti-électoral, 1er mars 1906.
Publié par l’anarchie n°47 et signé Albert Libertad.
C’est toi le criminel, ô Peuple, puisque c’est toi le Souverain. Tu es, il est vrai, le criminel inconscient et naïf. Tu votes et tu ne vois pas que tu es ta propre victime.
Pourtant n’as-tu pas encore assez expérimenté que les députés, qui promettent de te défendre, comme tous les gouvernements du monde présent et passé, sont des menteurs et des impuissants ?
Tu le sais et tu t’en plains ! Tu le sais et tu les nommes ! Les gouvernants quels qu’ils soient, ont travaillé, travaillent et travailleront pour leurs intérêts, pour ceux de leurs castes et de leurs coteries.
Où en a-t-il été et comment pourrait-il en être autrement ? Les gouvernés sont des subalternes et des exploités : en connais-tu qui ne le soient pas ?
Tant que tu n’as pas compris que c’est à toi seul qu’il appartient de produire et de vivre à ta guise, tant que tu supporteras, – par crainte,- et que tu fabriqueras toi-même, – par croyance à l’autorité nécessaire,- des chefs et des directeurs, sache-le bien aussi, tes délégués et tes maîtres vivront de ton labeur et de ta niaiserie. Tu te plains de tout ! Mais n’est-ce pas toi l’auteur des mille plaies qui te dévorent ?
Tu te plains de la police, de l’armée, de la justice, des casernes, des prisons, des administrations, des lois, des ministres, du gouvernement, des financiers, des spéculateurs, des fonctionnaires, des patrons, des prêtres, des proprios, des salaires, des chômages, du parlement, des impôts, des gabelous, des rentiers, de la cherté des vivres, des fermages et des loyers, des longues journées d’atelier et d’usine, de la maigre pitance, des privations sans nombre et de la masse infinie des iniquités sociales.
Tu te plains ; mais tu veux le maintien du système où tu végètes. Tu te révoltes parfois, mais pour recommencer toujours. C’est toi qui produis tout, qui laboures et sèmes, qui forges et tisses, qui pétris et transformes, qui construis et fabriques, qui alimentes et fécondes !
Pourquoi donc ne consommes-tu pas à ta faim ? Pourquoi es-tu le mal vêtu, le mal nourri, le mal abrité ? Oui, pourquoi le sans pain, le sans souliers, le sans demeure ? Pourquoi n’es-tu pas ton maître ? Pourquoi te courbes-tu, obéis-tu, sers-tu ? Pourquoi es-tu l’inférieur, l’humilié, l’offensé, le serviteur, l’esclave ?
Tu élabores tout et tu ne possèdes rien ? Tout est par toi et tu n’es rien.
Je me trompe. Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères ; celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes.
Tu es le volontaire valet, le domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître. Tu es le sergot, le geôlier et le mouchard. Tu es le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Tu es l’employé fidèle, le serviteur dévoué, le paysan sobre, l’ouvrier résigné de ton propre esclavage. Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ?
Tu es un danger pour nous, hommes libres, pour nous, anarchistes. Tu es un danger à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes baïonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote, – et que tu nous imposes par ton imbécillité.
C’est bien toi le Souverain, que l’on flagorne et que l’on dupe. Les discours t’encensent. Les affiches te raccrochent ; tu aimes les âneries et les courtisaneries : sois satisfait, en attendant d’être fusillé aux colonies, d’être massacré aux frontières, à l’ombre de ton drapeau.
Si des langues intéressées pourlèchent ta fiente royale, ô Souverain ! Si des candidats affamés de commandements et bourrés de platitudes, brossent l’échine et la croupe de ton autocratie de papier ; Si tu te grises de l’encens et des promesses que te déversent ceux qui t’ont toujours trahi, te trompent et te vendront demain : c’est que toi-même tu leur ressembles. C’est que tu ne vaux pas mieux que la horde de tes faméliques adulateurs. C’est que n’ayant pu t’élever à la conscience de ton individualité et de ton indépendance, tu es incapable de t’affranchir par toi-même. Tu ne veux, donc tu ne peux être libre.
Allons, vote bien ! Aies confiance en tes mandataires, crois en tes élus.
Mais cesse de te plaindre. Les jougs que tu subis, c’est toi-même qui te les imposes. Les crimes dont tu souffres, c’est toi qui les commets. C’est toi le maître, c’est toi le criminel, et, ironie, c’est toi l’esclave, c’est toi la victime.
Nous autres, las de l’oppression des maîtres que tu nous donnes, las de supporter leur arrogance, las de supporter ta passivité, nous venons t’appeler à la réflexion, à l’action.
Allons, un bon mouvement : quitte l’habit étroit de la législation, lave ton corps rudement, afin que crèvent les parasites et la vermine qui te dévorent. Alors seulement tu pourras vivre pleinement.
LE CRIMINEL, c’est l’Électeur
Le Travail libère-t-il ?
Le travail pénètre et détermine toute notre existence. Le temps coule impitoyablement à son rythme alors que nous faisons la navette entre d’identiques environnements déprimants à une allure toujours croissante. Le temps de travail… Le temps productif… Le temps libre… La moindre de nos activités tombe dans son contexte : on considère l’acquisition de la connaissance comme un investissement pour une carrière future, la joie est transformée en divertissement et se vautre dans une orgie de consommation, notre créativité est écrasée dans les limites étroites de la productivité, nos relations -même nos rencontres érotiques- parlent la langue de la performance et de la rentabilité… Notre perversion a atteint un tel point que nous recherchons n’importe quelle forme de travail, même volontairement, pour remplir notre vide existentiel, pour « faire quelque chose ».
Nous existons pour travailler, nous travaillons pour exister.
L’identification du travail avec l’activité humaine et la créativité, la domination complète de la doctrine du travail comme destin naturel des humains a pénétré notre conscience à une telle profondeur que le refus de cette condition forcée, de cette contrainte sociale, semble être devenu un sacrilège pour le concept même d’humanité.
Alors n’importe quel travail devient meilleur que pas de travail du tout. Ceci est le message répandu par les évangélistes de l’existant, sonnant les trompettes pour la course à la compétition toujours plus frénétique entre les exploités pour quelques miettes tombées de la table des patrons ; pour l’instrumentalisation et le nivelage complet des relations sociales en échange d’un peu de travail misérable dans les galères de la survie.
Ce ne sont pas, cependant, seulement les conditions générales de travail qui créent l’impasse. C’est le travail comme une totalité, comme un processus de commercialisation de l’activité humaine qui réduit les humains à des composants vivants d’une machine qui consomme des images et des produits. C’est le travail comme condition universelle dans laquelle les relations et la conscience sont formées, comme la colonne vertébrale qui maintient et reproduit cette société basée sur la hiérarchie, l’exploitation et l’oppression. Et en tant que tel, le travail doit être détruit.
Alors nous ne voulons pas simplement devenir des esclaves plus heureux ou de meilleurs managers de la misère. Nous voulons redonner son sens et son essence à l’activité humaine et à la créativité en agissant ensemble, conduits par la recherche de la joie de la vie à travers la connaissance, la conscience, la découverte, la camaraderie, la solidarité.
Pour la libération individuelle et collective …
Libérons-nous du travail
Ce texte est la traduction d’une affiche collée dans plusieurs villes de Grèce à la veille du procès de l’anarchiste Rami Syrianos, actuellement emprisonné en attente de son procès pour l’expropriation de l’argent d’une entreprise étatique de vente aux enchères, ainsi que le compagnon Kleomenis Savvanidis, accusé dans la même affaire.
Lucioles n°5 – novembre/décembre 2011
Cliquer sur l’image pour lire le pdf
Pour lire le bulletin texte par texte sur ce site : Numéro 5
Une vie sans État ni argent ni autorité au-dessus de nos têtes?
Cela fait un an que nous diffusons ce bulletin dans les rues de Belleville, à la sortie du métro, dans les bars, librairies, laveries, à chacun sa manière de se le procurer. Pourtant, ce sont toujours les mêmes questions qui nous sont posées. C’est quoi l’anarchie ? Comment vivre sans argent, sans État, sans prisons, concrètement. Au préalable, nous répétons toujours que nous ne sommes pas des politiciens et que nous ne faisons pas de la politique. Tout simplement, nous ne prétendons pas posséder de recette, de programme ou de solution livrée clé en main à la misère de ce monde. Nous ne souhaitons pas que les gens nous suivent, aussi vrai que nous ne voulons suivre ni obéir à personne, nous ne sommes pas des militants. Il appartient à chacun de trouver sa propre façon de lutter, de porter des coups à ceux qui nous pourrissent la vie, aucune nécessité de rendre des comptes à quiconque. Nous ne voulons pas d’une énième organisation inutile dont le seul but serait de se perpétuer dans de vieilles formes malgré l’évolution rapide du monde, nous sommes des individus, pas des soldats. Mais si nous n’avons pas de solution, alors pourquoi lutter ? Parce que nous faisons le pari qu’un monde libéré au maximum de la domination est possible, et si nous nous trompons, alors tant pis, au moins nous n’aurons jamais trahi nos désirs profonds de liberté, au moins, nous avons rêvé, mêmes éveillés, alors que tant d’autres se sont noyés dans la misère et l’isolement. Dans ce numéro, comme dans les numéros précédents et futurs, nous parlerons de liberté. Qu’il s’agisse de la liberté en général, de divers épisodes de liberté ou d’entraves à celle-ci. Alors bonne lecture.
Nous nous opposons par tous les moyens qui nous semblent justes, à tout ce qui se place sur le chemin de notre liberté. Pour cette raison, nous voulons en finir avec l’État, avec tous les États. Nous voulons en finir avec l’économie et nous débarrasser de toute forme d’autorité, qu’elle soit institutionnelle, formelle ou informelle, physique, morale ou mentale. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un jeu consistant à pisser plus loin que tout le monde : abolir toute forme d’autorité, dans nos bouches, ne signifie pas abolir l’autorité de soi sur soi-même. Entendre par là, notre capacité à contrôler avec justesse nos sentiments et nos passions au gré des événements, à faire preuve de discernement dans nos façons de s’associer librement avec nos semblables.
Ce monde que nous portons dans nos cœurs est incompatible avec celui-ci. Et toutes les tentatives du passé ont montré qu’il ne servait à rien d’essayer d’expérimenter la liberté totale dans son coin sans avoir préalablement détruit l’autorité. On s’amuse, on s’amuse, mais un jour ou l’autre, un propriétaire viendra réclamer ses terres, un flic ou un gendarme viendra défoncer la porte, la société se venge toujours de ses marges. Pour ces quelques raisons nous voulons détruire la société, par l’intelligence si possible, et par la force si nécessaire. Tout ce qui affaiblit le pouvoir, le déstabilise, l’abolit et qui ne perd pas de vue le monde débarrassé de toute domination que nous portons dans nos cœurs, tout cela est bon, c’est de cela que se nourrit ce journal.
Oui, nous sommes révolutionnaires, et nous n’avons pas peur de le dire. Il n’est question d’aucune clandestinité, nous sommes prompt à porter nos idées avec nous dans la rue, à faire nos propositions de rupture avec l’existant à quiconque veut bien prendre son temps pour discuter. La police a beau nous harceler, nous incarcérer, nous tuer, nous sommes des millions à travers le monde à combattre l’ordre, de mille manières différentes, anarchistes ou non, révoltés avant tout.
Notre but n’est pas de faire peur, il n’est pas non plus de se donner une bonne image ni d’être respectables, notre but est la transformation du monde et des rapports qui régissent les relations entre humains. Nous voulons uniquement vivre nos existences libérées de toute contrainte extérieure, des chefs, des flics, des juges, des profs, des citoyens et de toutes les autres canailles. Peut être bien que faire peur à nos ennemis ne nous dérange pas plus que ça, certes, mais cela n’est en aucun cas un but profond de notre action.
Avec ce journal, nous essayons modestement de contribuer à la pollinisation de la révolte contre l’existant, à la discussion et à la diffusion de nos idées, souvent appelées « anarchistes ». Et si nous souhaitons imposer notre liberté à quiconque aurait pour volonté de l’entraver, nous ne souhaitons pas particulièrement imposer l’anarchie à quiconque n’en voudrait pas. De toute manière, l’anarchie est affaire de relations consenties, de libre-association des individus et d’entraide, autant de choses qui nécessitent la réciprocité et la volonté de mettre la main à la patte sans y être forcé par une autorité quelconque, fut-elle anarchiste.
Lorsque les médias nous décrivent telle une horde de barbares assoiffés de sang, comme des terroristes, ils ne font qu’entretenir un fantasme qui fait bien leur affaire. On pourra alors attribuer des pratiques répandues et vieilles comme le monde à de petits groupes d’agitateurs iconoclastes reconnus afin de pouvoir les isoler, et d’une pierre deux coups, de pouvoir bannir ces pratiques en les qualifiant de criminelles, hors-la-loi ou terroriste. Nous parlons bien sur de toutes les formes de rétributions sociales vieilles comme la domination: L’attaque, la vengeance sociale, le sabotage, l’incendie, l’émeute ou le scandale en font partie. Les insurrections ne sont pas menées par quelques bandes d’anarchistes organisés en tant que tel, mais par des foules de révoltés. À travers l’histoire, les anarchistes ont toujours participé aux révoltes et aux insurrections de leur temps, mais ils n’ont jamais cherché à en prendre la tête, ils ont toujours lutté à l’intérieur comme à l’extérieur de toute révolution afin de se débarrasser des chefs. Nous ne sommes pas des adorateurs de la violence, celle-ci n’est qu’un moyen adapté pour parvenir à nos fins, elle est nécessaire mais elle n’est en rien une fin en soi.
Si tu n’es pas prêt à remettre en question cette vie de merde, alors nul besoin que ce journal n’effleure même que ton groin. Si tu es prêt à mettre ta vie en jeu pour protéger la domination, alors tu es un problème et nous devrons nous combattre jusqu’à ce que l’un de nous cède, et nous ne cédons pas. Si par contre, tu es prêt à te mettre en jeu pour en finir avec ce triste monde fétide, et bien alors, peut être bien que ce journal t’intéressa parce qu’il y est question de rage, de liberté, de la guerre sociale en cours depuis toujours. Il est le produit de la libre-association de quelques anarchistes dans le but ponctuel de sa conception et de sa diffusion. Il s’agit d’emmerder nos ennemis, de pointer du doigt les responsables de notre oppression et de donner de la force à nos amis, amants, compagnons, frères et sœur de lutte qui se sentent isolés dans cette vallée de larmes.
Voilà, peut être comprends-tu mieux maintenant ce que nous voulons faire avec ce bout de papier. Qui sait, peut être pouvons nous nous entendre pour conspirer contre ce monde, quitte à jeter quelques coups d’épée dans le vent comme Don Quichotte, quitte à en finir une bonne fois pour toute avec le pouvoir.
On ne sait jamais.
« Que le poète transforme sa lyre en poignard !
Que le philosophe transforme sa sonde en bombe !
Que le pêcheur transforme sa rame en une formidable hache.
Que le mineur sorte des antres étouffantes des mines obscures armé de son fer brillant.
Que le paysan transforme sa bêche féconde en une lance guerrière.
Que l’ouvrier transforme son marteau en faux et en haches.
Et en avant, en avant, en avant ! »
Renzo Novatore, 1921
En bref…
• Le 7 septembre 2011, un ouvrier du bâtiment, employé à refaire le garage du commissariat du XXe arrondissement, a subtilisé la sacoche d’un flic peu concentré. Elle contenait notamment sa carte de réquisition, sa médaille de police et sa carte bancaire (détruite par le voleur). Les images de la vidéo-surveillance du commissariat ont permis d’identifier l’auteur du vol qui a reconnu les faits. Par souci d’éducation, un énième juge a prit la décision de le condamner à trois mois de prison ferme.
Moralité judiciaire: volons nous entres pauvres plutôt que de voler ceux qui nous pourrissent la vie.
• Au début de l’été dernier, le commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) a été visé par plusieurs cocktails Molotov en réponse à des arrestations. En effet, ce commissariat avait déjà été l’objet d’une première attaque qui avait conduit aux arrestations de neuf personnes. L’offensive aurait été menée par une vingtaine de jeunes armés de mortiers, de barres de fer et de différents projectiles, pour protester contre le déploiement récent d’une des brigades spécialisées de terrain (BST) qui ont succédé en août 2010 aux unités territoriales de quartier (Uteq). On connaît bien la BST à Belleville, puisqu’une BST a été tout spécialement crée pour ici aussi. Sur les neuf personnes interpellées, quatre mineurs ont été libérés avec une convocation devant le juge des enfants, à laquelle ils ne se sont pas rendus. Sur les cinq restant en garde à vue, quatre ont été libérés et leur dossier a été classé sans suite. Un majeur a par contre été déféré.
• Depuis un an, 210 opérations de police ont été organisés aux abords de la place Stalingrad, dans le XIXe arrondissement. Depuis le 14 février 2011, elles ont lieu tous les jours en soirée, souligne la préfecture de police. Laquelle affirme que « la délinquance a baissé sur le secteur : le nombre de faits constatés en septembre 2011 équivaut quasiment au quart de celui de 2010, soit 13 contre 50 ». Attention donc à tous les amants de la nuit, Stalingrad = chasse à l’homme.
• Lundi 5 septembre 2011, les responsables de l’église Saint-Ambroise ont découvert que leur usine a soumission avait été victime d’un vol. La porte de la sacristie a été défoncée, et les deux troncs, ces réceptacles où les fidèles laquais peuvent déposer du fric sur le compte du pape, se sont volatilisé, comme par miracle. Le montant dérobé ne peut pas être estimé, il dépend des dons effectués aux dernières messes. « Quoi? Une de mes fabriques d’esclave dérobée? » s’exclame Jésus, il en tombe de sa croix.
• Jeudi 6 octobre 2011, une perquisition des cow-boys de la BAC est partie en vrille dans le quartier. Après avoir arrêté six personnes, les flics ont réalisé une perquisition dans un appartement du XXe, mais les occupants du lieu ont réagi et ne se sont pas laissés faire, brisant la routine des perquisitions matinales dans le quartier. Une femme aurait frappé un maître-chien, tandis que d’autres résidents auraient frappé le chien. Les renforts demandés ont, eux, essuyé des jets de pierres, dont un auteur présumé a été interpellé. Au total, huit personnes ont été interpellés dans cette affaire, dont une femme qui aurait mordu un policier. Cinq policiers auraient été légèrement blessés, c’est déjà ça !
• Dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 novembre 2011, l’école Binet, dans le XVIIIe arrondissement de Paris a vu une de ses fenêtres brisée et une porte fracturée. Un coffre fort a également été dérobé. Les joyeux écoliers seront pour une fois rentré de l’école avec le sourire.
• Fin octobre, à Stains (Seine-Saint-Denis), une patrouille de police, arrivée pour sécuriser le quartier du Clos-Saint-Lazare, a été la cible d’un tir de mortier d’artifice, qui a fait exploser la vitre de leur voiture, blessant au passage deux bâtards de la BAC. Ces derniers, blessés à la tête par les éclats de verre, ont du être transportés d’urgence à l’hôpital.
• Le 3 octobre, un homme meurt dans le quartier disciplinaire de la prison de Nanterre, où il est retrouvé pendu. Il était placé là pour avoir tenu tête aux matons. Suite à cet énième assassinat de l’administration pénitentiaire, des émeutes ont eu lieu dans le quartier du Luth à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), d’où venait Jamal Ghermaoui. Le 20 octobre, un de ses frères est interpellé dans le même quartier, accusé d’avoir tenté d’incendier des voitures. Une semaine plus tard, un maton affecté au quartier disciplinaire de Nanterre se mange un guet-apens alors qu’il se rend à son sale travail. Deux individus attaquent la voiture à coups de barre de fer et le menacent de mort avec une arme, faisant référence à la mort de Jamal. Les vengeurs masqués doivent prendre la poudre d’escampette lorsque d’autres matons arrivent au secours de leur porc de collègue. Comme on dit : ni justice, ni paix ; ni oubli, ni pardon.
• Le 10 octobre en pleine journée, à Grigny (Essonne), un individu cagoulé tire au fusil de chasse sur un fourgon de CRS stationné dans le quartier de la Grande-Borne. Les flics ne doivent leur salut qu’à la porte arrière du véhicule, qui a encaissé la balle. Les syndicats de flics s’alarment « d’un acte loin d’être isolé ». C’est sûrement vrai, et c’est tant mieux.
• Fin septembre, huit personnes sans papiers enfermées au centre de rétention de Vincennes se sont fait la belle. L’un d’entre eux s’est malheureusement fait choper peu après. Quand aux sept autres, ils courent toujours. Ils avaient réussi à briser une vitre (soi-disant incassable) de leur prison à l’aide d’une porte dégondée. Une bonne belle à eux !
• Black-out numérique. Fin septembre, un audacieux sabotage a privé de télé, d’internet et de téléphone quelques 15 000 abonnés de Numericable à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et dans le XVIIe arrondissement, et ce pendant plusieurs heures. Trois cent fibres optiques enterrées à 10 mètres de profondeur ont été habilement sectionnées, obligeant l’entreprise à réparer l’installation, en ressoudant une par une les fibres coupées. A chacun sa fibre !
• Début octobre, un jeune homme s’est pris 300 euros d’amende pour « destruction du drapeau tricolore ». Jugé au TGI de Bobigny, ce dernier a aussi écopé d’un mois de prison avec sursis pour avoir baffé un flic lors de son arrestation. Le soir de la Saint-Sylvestre de l’an dernier, il avait eu l’ivresse plutôt inspirée (ce qui est assez rare), puisqu’en sortant énervé du commico de La Courneuve, il avait arraché puis piétiné le torchon bleu-blanc-rouge, avant de menacer de le cramer. Il ne sera ni le premier ni le dernier à le faire, et puissent tous les drapeaux nationaux connaître la même mort.
• Des pirates informatiques ont publié les adresses privées, numéros de portable, coordonnées et données personnelles de plus de 1 000 dirigeants et parlementaires UMP ainsi que leurs collaborateurs : Députés, sénateurs, députés européens, membres de cabinets, chargés d’études, collaborateurs de ministre… 1 330 adresses e-mail sont concernés par cette fuite. Les hackers annoncent : « Tous ces corrompus, minables et vendus, En hommage à CopwatchIDF, censuré, A tous les gardés-à-vue, Aux banlieues karcherisées, Aux manifestants battus, […] Aux demandeurs d’asile ignorés et matraqués, Aux Roms stigmatisés, traqués et expulsés, À toutes les victimes de l’UMP: Nous vous livrons leurs coordonnées..
Œil pour œil, dent pour dent. »
Le pouvoir a encore tué – À propos de la récente vague d’incendies de squat
Ce n’est pas une surprise, ni une nouveauté ; déjà pendant la lutte menée par les migrants tunisiens ces derniers mois, la préfecture et la mairie de Paris avaient fait cause commune pour virer de force les occupants du 51 avenue Simon Bolivar, puis le gymnase rue de la Fontaine-au-roi.
« Insalubrité » ou « projet social » à venir dans les lieux en question, les mêmes arguments bidon sont avancés pour apporter un semblant de justification aux expulsions, pour mettre un coup de verni démocratique par-dessus les opérations de police.
C’est cet argument de « projet social » qui devait être utilisé par la mairie (PS) de Pantin pour demander fin septembre l’expulsion de l’immeuble situé passage Roche. Comme l’explique Bernard Kern (maire de Pantin) : «C’est un immeuble d’activité qui devait être démoli dans le cadre d’une ZAC où on allait reconstruire des logements sociaux. On allait saisir la préfecture pour demander son évacuation, mais le drame est arrivé plus vite. C’est dramatique.» Six personnes, des migrants tunisiens et égyptiens, mortes, six personnes qui devaient déjà subir le harcèlement des flics lorsqu’ils dormaient dans le square de la porte de la Villette, six personnes -parmi d’autres- que la mairie socialiste promettait à la rue. Les charognards de la mairie et du gouvernement s’empressent de se renvoyer la faute : « diminution du budget de l’hébergement d’urgence », « conséquence de la politique du chiffre », « filières criminelles de l’immigration clandestine », etc. dans un opportunisme macabre qui ne masquera jamais leur commune responsabilité dans la mort de ces personnes.
Le 24 octobre, c’est au tour d’un immeuble situé au 163 rue des Pyrénées de partir en fumée, faisant un mort parmi les occupants. Cette fois, la maison a été brûlée volontairement avec des cocktails molotov jetés depuis le toit de l’immeuble, sachant que peu auparavant, des manifestations hostiles aux occupants du lieu (Rroms pour la plupart) avaient eu lieu, accompagnées de pétitions et encouragées par la mairie PS du XXème, demandant explicitement l’évacuation de force de l’immeuble. Que l’incendie ait été provoqué par des fachos ou par des citoyens-riverains convertis à la pyromanie, toujours est-il que cela fait les affaires de la mairie, en première ligne pour « nettoyer » le Nord-Est parisien de tous ses pauvres, et de la préfecture, qui depuis pas mal d’années se montre extrêmement rapide et zélée pour déloger les squats dans la capitale, afin de ne pas laisser se développer d’entraves à l’embourgeoisement des quartiers, et de ne pas laisser s’y implanter de possibles foyers de luttes.
Suite à cet incendie, les ex-occupants se sont faits trimbaler par la maire, avec l’aide de l’association Emmaüs-Coup de main, de chambres d’hôtel (pour trois nuits) en foyers d’hébergement d’urgence (où les conditions de vie sont à proprement parler carcérales). Et surtout, se sont vus « proposer » les fameuses « aides au retour volontaire », ces expulsions au rabais teintées de la sale couleur de l’humanitaire, et dans lesquelles pas mal d’associations se sont spécialisées depuis des mois, en quête de reconnaissance par la mairie et de subventions. Cette version de la gestion et du tri des indésirables avait déjà été expérimentée à une large échelle sur les migrants venus d’Afrique du Nord -et continue de l’être aujourd’hui- montrant de quel côté se trouvent ces associations : du côté du pouvoir et de sa chasse aux pauvres. Et que dire du communiqué de l’association Harissa Sauce Blanche (HSB), qui se plaint dans un communiqué de l’inhumanité de Frédérique Calandra après l’incendie, alors que cette même association avait fourni une belle caution « sociale » à la mairie, en prenant en charge à sa place le suivi des occupants et l’aide à la scolarisation des enfants y vivant ? Faire le jeu des politiciens en acceptant leur chantage, pour s’en plaindre après coup…
Le vendredi 14 octobre, toujours dans le même quartier, une maison s’est aussi fait expulser rue Olivier Métra (voir le récit de l’expulsion dans ce numéro), tandis que l’immeuble occupé au 194 rue des Pyrénées (appartenant à l’AFTAM) tient toujours, malgré les menaces d’expulsion.
Ces bâtards de la préf’ et de la mairie ne sont jamais à l’abri d’une réaction enragée à toutes leurs saloperies. Pour preuve, la nuit du 24 octobre, peu après l’incendie du squat des Pyrénées, des inconnus sont allés dire leur façon de penser -et d’agir- à la flicaille, en défonçant les devantures de deux commissariats, l’un situé rue Ramponneau dans le XXème, et l’autre rue du Rendez-Vous, dans le XIIème (voir le communiqué ci-contre).
Que cet exemple frappant puisse alimenter notre colère et inspirer d’autres initiatives offensives, nous ne souhaitons rien de moins.
Coup double
Les 25 et 26 novembre 2007, nous sommes nombreux à n’avoir pas pleuré les plus de 80 keufs blessés lors des émeutes de Villiers-le-Bel suite à des tirs. Il y a quelques jours, la préfecture de police de Paris, par la voix de ses larbins zélés du torchon local, se demandait « qui peut bien en vouloir à la police ? », après le ravage de la devanture d’un comico, rue du Rendez-Vous (12e). Plus d’une centaine de coups ont fissuré les 19 vitres blindées de la flicaille, petit geste de solidarité avec les accusés de Villiers, condamnés à de lourdes peines en appel il y a peu.
Ce que cachent par contre les journaflics, c’est que le même soir au même moment (lundi 24 octobre), un second comico subissait une rafale de coups rue Ramponneau (20e). Cela dans le même quartier où, quelques heures avant, un squat de Rroms avait cramé, causant la mort de l’un d’entre eux. Après l’incendie du squat de Pantin le 28 septembre, où six migrants tunisiens et égyptiens avaient déjà été assassinés par la misère de ce système, les grandes vitres bleu-blanc-rouge de ce poulailler de quartier ont là encore été fissurées par notre rage.
Mais qui peut bien en vouloir à la police ? Peut-être toutes celles et ceux qui sont fatigués de compter les morts et les peines de prison…
Des vénères
Repris de Indymedia Nantes.
Contre toute autorité… Feu à volonté !
C’est la zermi couzin
Pas le temps de vivre, plus la force après des heures de taff à part pour allumer la télé, se lamenter autour de quelques verres de mauvais alcool, d’antidépresseur ou de Subutex, une petite prière et au lit. Sept heures de sommeil nerveux avant de recommencer la même journée de merde jour après jour, tout ça pour un peu de fric qui passera du porte monnaie du patron à celui du propriétaire, d’un commerçant quelconque aux caisses de l’État. Facile de tomber dans la dépression, facile de lâcher prise, d’accepter son sort et de se dire que rien ne vaut le coup, d’abandonner tout espoir d’autre chose, de ne plus se soucier, face à sa propre misère, du sort des autres. En quelque sorte, chacun sa merde. Hors de ma famille, de ma communauté, de mon clan, pas d’empathie, aucune solidarité. Au point où on en est, tant que le fric circule et qu’on peut en grappiller quelques miettes (allocs, petits business, minimas sociaux…) pourquoi penser au reste ? On peut aussi se créer l’illusion que la vie n’est pas si sinistre en se réfugiant dans le peu de satisfaction et de confort que la société veut bien nous laisser en échange de la paix sociale. De toute façon, avec deux mille ans d’esclavage derrière nous, pt’être bien que l’humain est fait pour vivre en cage, maître ou esclave.
Comme une caricature de ce que nous vivons tous un peu, par-ci par-là.
Poudrière
Vous vous dites peut-être que tout n’est pas si sombre, misérable et dépeuplé d’envie, ce n’est pas faux. Parfois des étincelles viennent mettre le feu à la poudrière pour prouver que ce monde n’est pas qu’un vaste cimetière peuplé de zombies. En Angleterre, il y a quelques semaines, c’est un torrent de révolte qui a ravagé les métropoles bien lisses et conformes. Il y a peu en France, et régulièrement encore, la rage rentrée du quotidien éclate à la gueule des patrons et de leurs flics avec pleine force. Clichy-sous-bois, Villiers-le-bel… La haine et la joie qui cohabitent dans un sursaut de vie. Récemment encore, ce sont les commissariats, les palais de justice, les préfectures, les prisons, les supermarchés qui ont cramé en Tunisie, Égypte, Syrie, Libye… et certainement pas pour les remplacer par des outils d’oppressions plus démocratiques.
Tout le temps éclatent des révoltes, dans les prisons, les écoles, les ateliers, les familles. Ici, un homme qui refuse les ordres de son patron ou de son sergent, là une femme qui place un boulon dans une chaîne de montage, ailleurs un enfant qui ne veut plus écouter ses profs ou un détenu qui refuse de réintégrer sa cellule.
Qui sont les idéologues ?
Ces révoltes, et même les révoltes en général, n’ont pas bonne presse. Alors on les rejette ou on les récupère. On tente de jeter le discrédit sur les émeutiers en les traitant de fous-furieux, de casseurs, de bandes, de gangs, de terroristes, manipulés par des idéologues. La révolte ne serait qu’une maladie ou un danger à traiter. On tente en même temps de jeter le discrédit sur les soulèvements en leur prêtant des intentions qu’ils n’ont pas : affrontements inter-communautaires, caractère ethnique, remplacement de dictateur etc. Ou alors on les récupère en y apposant sa propre idéologie : on dira que les révoltes au Maghreb cherchaient à instaurer des démocraties capitalistes calquées sur les modèles occidentaux, on dira que les émeutiers de novembre 2005 luttaient pour obtenir des CDI, on dira que les révoltes dans les pays placés sous tutelle du FMI ont pour but de redresser la barre économique du pays pour un capitalisme à visage humain. On récupère alors les indignés de la place Tahrir ou de n’importe quel autre endroit pour mieux rejeter les insurgés qui à côté refusent de tendre l’autre joue et rendent coup pour coup. On tente de placer des porte-paroles respectables : jeune diplômé, étudiant charismatique, avocat des droits de l’homme, politicien en exil, bourgeois philanthrope, mais tout cela n’est que piaillerie de journalistes et de politiciens.
Nous ne sommes pas bien intelligents, et pourtant. Pourtant, nous savons que tout est bien plus simple que cela. Plus que des constructions idéologiques, c’est le cœur qui nous dicte de briser cette paix, en dépit de notre petit confort. Il y a une logique implacable dans le fait de rendre les coups, de ne pas se laisser faire, de se révolter. Un réflexe vital, comme le chien qui mord la main du maître qui le bat avant de se demander s’il y a plus à perdre à la mordre qu’à se laisser battre.
Ce qu’il y a de plus sensé dans un monde insupportable c’est justement de ne pas le supporter ; et ce qu’il devrait y avoir de plus partagé entre nous, au-delà de cette misère commune, c’est bien la révolte contre cette misère, et la liberté qu’elle laisse entrevoir par les moyens utilisés et par les désirs qu’elle porte.
Ayons l’audace d’en finir avec ce monde, pour ne pas faire comme ceux qui sont morts de cette vie, persuadés que le courage consistait à la tolérer plutôt que de la défier.
La rébellion c’est la noblesse des esclaves.
Un peu de bon sens…
[Tract distribué à Paris, août 2011.]
« Comme le glaive de la justice dans le ciel de la capitale » – À propos du futur palais de Justice de Paris
Maldita sean las leyes,
Y los que las hayan hecho.
Un premier lieu commun voudrait que l’État soit ruiné, que les caisses soient vides. C’est faux. Le grand Léviathan est encore capable de sortir de ses fonds de tiroirs un bon milliard d’euros pour soutenir de grands projets.
Un second lieu commun voudrait que le même État se moque de l’avenir des pauvres gens. Encore faux ! Le milliard d’euros en question sera dédié à financer une grand infrastructure destinée-justement- aux pauvres. Une infrastructure qui « constituera un facteur important de dynamisme économique pour Clichy-Batignolles (le lieu d’implantation du futur palais) et concourra à son attractivité ». On ne saurait mieux dire…8200 « visiteurs » quotidiens sont attendus dans cette merveille architecturale en devenir. Des visiteurs variés, bigarrés. Des animateurs en toges –rouges, blanches et noires- et en uniformes, d’un côté. De l’autre…moi, toi, vous : le bétail habituel, et potentiel, de ce genre de lieu, c’est-à-dire ceux et celles qui ne rentrent pas dans le cadre très étroit du respect de la loi et de l’ordre qu’elle protège. Objectif des promoteurs de cet attrayant projet : « améliorer sensiblement l’exercice de la justice ». Trop exigus, les anciens abattoirs de la Cité ? Ou serait-ce qu’une hausse « sensible » du nombre de brebis galeuses, à remettre dans le droit chemin, soit prévue pour les temps à venir ? On opte volontiers pour la seconde hypothèse, sachant que dans le même temps, l’État prévoit un énième « Plan Prisons », visant à augmenter le « parc pénitentiaire » de 30 000 nouvelles places pour atteindre les 80 000 en 2017. Ça en fait du monde à condamner !
Heureusement pour lui (et malheureusement pour nous), l’État n’est jamais seul quand il s’agit de réaliser ses plus grands rêves. Comme nous l’avions vu dans un numéro précédent (voir le texte sur Nicolas Michelin dans Lucioles n°3), il se trouve toujours de gentils collaborateurs (pas bénévoles, faut pas charrier) pour associer leur nom à l’infamie. Futur palais de Justice, futur ministère de la Défense, guerre et répression, l’argent n’a pas d’odeur, du moins pour les vautours qui font le choix de saisir le magot. Dans le cas qui nous intéresse ici, on retrouve –ô surprise !- deux parmi la fameuse « bande des trois », à savoir Bouygues et Vinci, Eiffage ayant sans doute trop à faire dans la construction de nouvelles taules. La chasse au trésor est un jeu vraiment prenant. On trouve donc, au côté des deux constructeurs pré-cités, deux cabinets d’architectes : Renzo Piano pour Bouygues Bâtiment Ile-de-France, et l’Agence Marc Mimram, en partenariat avec Loci Anima (agence de Françoise Raynaud, architecte), pour Vinci Construction France.
Oui, ça en fait du beau monde, mais l’enjeu est de taille : près de 90 000 m2 de bureaux et de salles d’audience, dont une tour de 150 mètres de haut (« comme le glaive de la justice dans le ciel de la capitale », selon les mots d’un des bâtards participant au projet, et malheureusement resté anonyme). Et, cerise sur ce gâteau dont le goût s’annonce amer : le futur siège de la Direction Régionale de la Police Judiciaire (DRPJ), comprenant entre autres la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), l’antigang, et la Brigade Criminelle, dont un des vieux briscards regrette à l’avance que « l’endroit n’a pas le même cachet » que le bon vieux 36 Quai des Orfèvres. Nous faisons pleine confiance à tous ces sacs à merde de juges et flics : très vite, ces locaux tous neufs sentiront le moisi de la répression qu’ils affectionnent, et les odeurs de pisse, de sang, de larmes et de sueur effaceront celle de la peinture fraîche, et ils retrouveront le bon vieux cachet.
Ce projet, qualifié en 2009 de « chantier présidentiel » par l’ex premier flic de France, et de « plus gros chantier jamais mené par le ministère de la Justice » par Michel Mercier (l’actuel Garde des Sceaux), absorbera à lui seul 15 % du budget de la Justice. La signature du contrat de réalisation devrait être rendue publique à la fin de l’année par le conseil d’administration de l’Établissement Public du Palais de Justice de Paris (EPPJP), qui comprend les hauts magistrats de cour, le barreau, la mairie et la préfecture de Paris. Les travaux sont prévus pour durer jusqu’en 2015.
D’ici-là l’État n’arrêtera pas sa guerre aux pauvres, permanente, à Paris comme ailleurs, et les vieilles geôles du Dépôt de la Cité feront bien l’affaire en attendant.
De notre côté, nous n’attendrons pas non plus gentiment qu’on nous trimballe de travail en garde-à-vue, de contrôle en tribunaux, de domination et de soumission quotidiennes en prison. Nous souhaitons contribuer à intensifier la révolte, non seulement contre la justice, mais également contre l’ensemble des conditions sociales qui nous sont faites, contre la gestion de la misère dont la justice participe.
**
Où trouver les vautours :
ÉquipeBouygues :
. Renzo Piano Building Workshop, 34 rue des Archives, 75 004 Paris.
. Associés : Exprimm (19, rue Stephenson ,78 066 Saint-Quentin-en-Yvelines), DIF Infrastructure II BV (54 rue de Ponthieu, 75008 Paris), Uberior Infrastructure 4 Limited, SEIEF et EP12.
Équipe Vinci :
. Agence Marc Mimram, 21 rue de la Fontaine-au-Roi, 75 011 Paris.
. Loci Anima – Françoise Raynaud, 92 rue de Rochechouard, 75 009 Paris.
. Associés : Caisse des Dépôts et Consignations (56 rue de Lille, 75007 Paris), Barclays Europe Infrastructure Capital et Icade.
Établissement public du palais de justice de Paris :
30 rue du château des rentiers, 75 013 Paris.
Affrontement avec les flics sous la tour Eiffel
Cela fait des années que dure le manège quotidien des flics contre les vendeurs à la sauvette de la tour Eiffel et de ses alentours. Une majorité de sénégalais, qui ne font que vendre des bibelots insignifiants pour touristes (mini tour Eiffel et autres babioles etc.) qui ont pris l’habitude de courir plus vite que les flics et de les repérer avec une certaine expertise et de façon solidaire entre vendeurs. Lorsqu’ils sont interpellés, la marchandise est confisquée et détruite, parfois un petit tabassage au poste. Mais malgré les 12 000 contraventions par an en moyenne, la police n’est jamais parvenue à enrayer le phénomène. Alors, le 29 août, l’État a décidé de se lancer dans une vaste opération coup-de-poing, un coup de filet massif perpétré par plus de 200 flics de diverses brigades. Il y aura ce jour là, plus de cinquante interpellations et une bonne centaine de sacs de marchandises saisis. Ce qui au final, ne représente pas beaucoup plus que les chiffres quotidiens avancés par la préfecture, ce qui ne l’empêchera pas de se vanter de cette opération qui vise surtout au final, à arrêter, harceler et parfois expulser des sans-papiers. L’opération était prévue à 14h30, mais dès 14 heures, des centaines de vendeurs avaient pour la plupart déjà pris la poudre d’escampette. Mais, contrairement aux médias-poubelle, il nous semble important de parler de ce qui est arrivé une dizaine de jours avant cette opération.
Le 19 août, comme chaque jour, les flics harcèlent les vendeurs. Un jeune est pris en chasse par les flics. Malheureusement, l’issue de cette course-poursuite est tragique puisque ce jeune sénégalais finira électrocuté sur les voies du métro Trocadero en tentant d’échapper aux flics. Il sera placé dans un coma artificiel, puis en réanimation artificielle. Il a survécu, difficilement. Suite à cette nouvelle tentative d’assassinat de la police, une assemblée générale sera tenue pour parler du harcèlement policier entre plus de 300 vendeurs exclusivement sénégalais, ce que nous déplorons: le harcèlement policier n’est pas que l’affaire des sénégalais, mais de tous les pauvres. D’autant plus que les vendeurs d’origine sénégalaise ne sont pas les seuls, d’autres viennent d’Europe Centrale ou du sous-continent indien. Mais nous avons déjà largement dit ce que nous pensons du communautarisme et de la concurrence « ethnique » dans ce numéro comme dans les précédents.
Ce qui est ressorti de cette assemblée, c’est avant tout la colère. Communautarisme oblige, le consul du Sénégal à Paris ne se gênera pas pour appeler au calme et « rassurer ». Une enquête a été ouverte par le procureur de Paris, d’accord, mais en quoi cela pourrait-il bien rassurer ou même changer quoi que ce soit ? Il n’en sera rien, et le 21 août, une centaine de vendeur prennent leurs propres initiatives et s’affrontent directement à la police aux environs de 14h, à coup de pierres et de bouteilles. Trois policiers ont été « blessés légèrement, notamment aux jambes » par des projectiles. Et une dizaine d’interpellations a eu lieu. Tout a commencé lorsqu’un petit groupe de vendeurs a pris l’initiative d’attaquer une patrouille de flics, c’est alors qu’une centaine de vendeurs a fait front, en solidarité avec cette initiative, avant de se disperser pour éviter la vengeance d’État.
Dans ce contexte, le directeur de cabinet du préfet de police, Jean-Louis Fiamenghi, s’est rendu sur place avec pour seule réponse à la colère, l’annonce d’un énième durcissement : « Chaque vendeur à la sauvette sera dorénavant systématiquement interpellé et il n’y aura plus aucune tolérance pour ces ventes ». « Nous avons réalisé 550 gardes à vue ces derniers mois », précise-t-on au commissariat du VIIe. La préfecture a par ailleurs renforcé ses effectifs. En plus des traditionnels patrouilleurs à VTT ou des agents de la BAC, les CRS sont appelés à la rescousse depuis mars dernier.
La préfecture a déjà bénéficié d’un renforcement de la législation en mars dernier. Depuis la loi Loppsi 2, les vendeurs peuvent être emmenés en garde à vue et la nouvelle loi permet de les incarcérer. Six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende.
Quand le maton te cultive…
Oh oui! Celle-ci est très bonne! Les crevures de l’Administration Pénitentiaire sont bourrés d’humanité, de cette humanité qui sue des canons, celle de ces grands hommes qui en enferment d’autres pour un salaire, cette belle candeur qui te tabasse pour ton bien, pour ta sécurité, le bras armé de la société qui bande à la vue du sang. D’un coté, le décors est dur et austère, la taule de Poissy, Maison Centrale, 230 détenus dont 80% purgeant des peines supérieures à vingt ans. Vingt ans, oui, vingt ans, le mensonge démocratique de l’abolition de la peine de mort, la banalité de la cruauté et de ses minables petits exécutants qui ne font qu’obéir. De l’autre, il est grandiose et flamboyant, le musée du Louvre, premier musée au monde en termes de fréquentation, une véritable usine culturelle, une centrale du profit.
Le rapport avec la semoule ? Se demande-t-on…
«Au-delà des murs », c’est le nom donné à une exposition installée depuis fin janvier dans la cour intérieure de la prison de Poissy. Cette opération inédite associe le musée du Louvre, le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) du département et la maison centrale de Poissy.
Autant dire que les métaphores gratinées du genre «Au-delà des murs » lorsqu’on se trouve entre quatre murs 24h/24h 7j/7j sont au choix génératrices d’éclats de rires nerveux ou de pulsions meurtrières. Les matons doivent se marrer entre deux fouilles à nu. Le patron de l’AP, ce fils de pute de Jean-Amédée Lathoud et le président-directeur du Louvre Henri Loyrette ont bien du se marrer en organisant leur petite partouze de cynisme. Une opération donnant-donnant. D’un coté, l’AP se tartine une belle tranche d’opinion publique pendant 48 secondes sur France-Info, de l’autre le Louvre se targue d’être « ouvert à tous, même aux prisonniers ». Comprendre : le Louvre ne donne pas que dans l’humain, mais aussi dans le repris de justice, le paria. C’est pas beau ?
Il s’agit, pour le président du Louvre, de faire en sorte, tenez-vous bien, que les détenus de la Maison centrale de Poissy puissent « ouvrir les portes des royaumes disparus ». « Je suis particulièrement heureux de venir ici, à Poissy, pour inaugurer cette exposition assez atypique, hors-les-murs et hors-normes ».
«Au-delà des murs », « ouvrir les portes », « hors-les-murs ». Comme disait l’autre, les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! Même si l’uniforme ou la cravate sont déjà des indicateurs fiables à 100% de la connerie qui se meut de porte en porte et de bureau en bureau, clés et matraques à la ceinture pour les uns, attaché-case en main pour les autres.
La joyeuse bande de bâtards que voilà !
Parmi les dernières « actions » culturelles soutenues, la visite de l’écrivaillon J.M.G. Le Clézio, maton culturel en CDD et actuellement « grand invité du Louvre », qui « va à la rencontre » des détenus de la maison d’arrêt de la Santé courant novembre. En 2012, un travail sur l’art de la statuaire commencera à la maison centrale de Poissy, encore elle. Sans oublier que depuis 2007, un partenariat à vocation pédagogique (si si), lie le musée du Louvre avec la maison d’arrêt de la Santé et le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Paris (SPIP 75). Il a été complété depuis 2009 par un partenariat avec la maison centrale de Poissy et le SPIP des Yvelines.
Ça veut dire quoi concrètement une activité culturelle en taule? Les détenus reçoivent avec leur gamelle de croquettes avariées pour poisson un petit papier les invitant à s’inscrire à un atelier tout pourri sous la surveillance des porte-clés avec un gentil spécialiste d’un thème absolument inoffensif. Une centaine s’inscrit sans conviction, pour sortir de la monotonie poisseuse de la routine carcérale, une dizaine est retenue, ça dure vingt minutes chrono, ça se passe à l’heure de la promenade pour te la faire rater et c’est tout pourri parce que de toute façon il y a trop de bruit autour pour entendre quoi que ce soit. Et tout le monde est content, ou presque, la bonne conscience droits-de-l’hommiste est satisfaite.
Petit exemple de la beauté de la culture en milieu carcéral : janvier 2011 à la Santé, Michel Onfray, un philosophe de salon à la con vient « organiser une discussion » pour les détenus. Seule une petite dizaine de détenus triée sur le volet pourra y participer, en présentant à l’avance à l’AP ce qu’ils comptent dire, les questions qu’ils comptent poser, comme si ça pouvait se prévoir à l’avance, et interdiction de déborder de ce qui a été convenu par la matonnerie improvisée culturelle. C’est comme ça que ça se passe, alors que ceux qui se font des illusions se prennent un seau de mazout à la gueule en guise de réveil, et qu’Onfray et ses potos du show-biz se mangent des tartes dans la face, des tartes à l’acide.
Ni hors-les-murs, ni au-delà des murs. A bas les murs ! Rien ne peut rendre l’enfermement acceptable à nos yeux, ni art, ni cellules en or, ni climatisation, la prison ne se reforme ni ne s’améliore. Les prisons en feu, et les matons en uniformes bleus, en col blanc, à pinceau, à stylo ou à matraque au milieu !
Fontenay-sous-Bois/Fresnes en 72 heures
Dimanche 25 septembre, se tenait au squat de la Buissonnière à Fontenay, une discussion/projection/concert en solidarité avec la lutte menée contre le TAV en Val Susa, autour de la construction d’une ligne à haute vitesse entre Lyon et Turin. Au cours de la soirée, les flics se sont présentés plusieurs fois à la porte au prétexte d’une plainte des voisins. Autour de minuit, alors que la porte leur avait été fermée au nez une première fois, ils reviennent à plusieurs voitures et contrôlent un groupe de personne se trouvant devant le squat. L’un d’eux, accusé de les avoir insultés et de s’être opposé à leur contrôle est très vite embarqué. Deux personnes se trouvant non loin réagissent rapidement à cette interpellation, elles seront embarquées à leur tour. Malgré des tentatives de les en empêcher, les flics réussissent à emmener les trois au commissariat, non sans avoir reçu quelques canettes et coups de gaz lacrymogène.
Après 48 heures de garde à vue, ils passent en comparution immédiate au tribunal de Créteil mercredi 28 septembre après-midi : le premier pour « infraction à la législation des étrangers », « outrage et rébellion », les deux autres pour « incitation à créer un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation […] de violences volontaires « , en application de la récente loi sur les bandes. Le procès se déroule en présence de nombreux flics, civils, Bac et autres crapules avec ou sans uniforme.
Appuyée sur un dossier épais, contant aussi bien les quelques jours d’ITT pris par les keufs que la description policière du squat, la juge en condamne deux à huit mois de prison dont quatre mois de sursis sans mandat de dépôt. Le dernier est relaxé pour la rébellion et condamné à quatre mois ferme pour « outrage » et « infraction à la législation sur les étrangers » avec mandat de dépôt : il part donc le soir même pour la prison de Fresnes.
SOLIDARITE ! LIBERTÉ POUR TOUS ET TOUTES !
RATP/SNCF : collabos et assassins
On ne le répétera jamais assez, l’Etat devrait soigner ses services publics. Pour preuve, ceux-ci lui rendent de précieux services en matière de gestion des conflits, ou plus simplement encore, des populations et individus indésirables.
Première illustration le 31 août dernier à Saint-Denis. Vers 6h30, des dizaines de condés débarquent dans un camp de fortune où vivaient quelques 150 personnes, venues de Bulgarie et de Roumanie. Après avoir rasé le lieu et embarqué tous ses occupants, se pose la question de l’évacuation de ces derniers. Peut-être en mal de bus servant au transport des personnes arrêtées, toujours est-il que ce jour-là, la police trouve un moyen fort simple de résoudre le problème. Emmenant tout le monde de force vers la ligne 1 du tramway, les flics tentent de faire monter les indésirables dans des rames déjà occupées par des passagers. Constatant le souci, des cadres de la RATP décident de faire venir une rame spéciale depuis le dépôt de Pavillon-sous-bois, afin « de ne pas entraîner de désagrément pour les usagers ». La RATP précisera bien n’avoir répondu à aucune réquisition de la police, d’où le caractère hautement généreux et spontané de leur coup de main, et d’ajouter : « notre rôle d’exploitant est d’acheminer les voyageurs jusqu’à leur destination en temps et en heure ». Question de sérieux… Le trajet de déportation durera une bonne heure, le temps que le convoi escorté par neufs cars de CRS à l’extérieur, des dizaines à l’intérieur en plus de quatre employés de la RATP, arrive à la gare de Noisy-le-Sec, où les familles seront poussées dans le RER, direction… le plus loin possible pour le pouvoir. Pour mémoire, on rappellera qu’au début du XXème siècle, plus précisément entre 1907 et 1914, l’État s’était doté des cadres légaux pour réaliser ce type d’opération de déportation. Clémenceau avait à l’époque créé des unités spéciales -les Brigades mobiles- dont le rôle consistait à déplacer les populations Tziganes aux confins d’un département donné. Leçon bien apprise.
Des membres d’un syndicat gauchiste de la RATP (SUD en l’occurrence) s’émeuvent, et demandent « que les transports franciliens ne soient plus utilisés pour ce genre d’opérations », comprendre, que l’État fasse ses rafles tranquillou, mais autrement, et qu’on ne nous embête pas avec. La direction se lavera les mains de cette sale besogne en déclarant qu’il s’agissait d’une décision locale et exceptionnelle.
Autre exemple, le 4 novembre au RER Saint-Lazare, où un homme est assassiné par une meute composée de trois contrôleurs SNCF, d’un agent de l’unité nationale d’intervention rapide (l’Unir, créée en 2011), dépendant de la Surveillance Générale (SUGE), et trois flics de la Brigade des Réseaux Ferrés (BRF). L’agent de sécurité l’aurait d’abord frappé à coup de matraque télescopique, avant que les flics le menottent par terre. L’homme perd connaissance, souffrant d’un hématome à la tête, puis tombe dans le coma. Il décède un jour plus tard. Pour la forme, les sept personnes précitées seront placées en garde-à-vue, le temps de conclure qu’il n’y pas eu usage excessif de la force. On est soulagé, un usage excessif de la force aurait pu entraîner une sur-mort. Pour en finir avec cette vilaine histoire, le pouvoir s’empresse de déclarer qu’un « infarctus » était à l’origine du décès. C’est fou le nombre de personnes cardiaques tombant dans les mains des chiens de garde de l’ordre, ça n’arrête pas. Mais nous laissons aux cardiologues et autres sociologues le soin de faire les comptes en cette matière. Il y a plus important que de compter les morts : reconnaître les responsables et en tirer les conséquences.
Récit de l’expulsion d’une maison à Belleville
Le vendredi 14 octobre, notre squat a été expulsé suite à une plainte pour dégradation avec flagrance. Ceci n’est que l’histoire rageusement ordinaire, d’une expulsion ordinaire, d’une garde-à-vue ordinaire et de ses suites… Le 18 rue Olivier Métra (Belleville, XXe ardt) était une grande maison occupée depuis une semaine. Ce bâtiment vide depuis des années faisait rêver bien des habitant-e-s du quartier. Nous l’avons occupé avec l’intention d’y habiter.
Mardi 11 Octobre, en début d’après-midi, débarquent deux personnes se disant architectes, ils attendent Mme Mathieu la propriétaire : elle aurait acheté le bâtiment au mois de Juin. Mme Mathieu arrive et s’énerve. Elle essaie de nous faire croire qu’elle est sans le sou, qu’elle est dans une plus grande galère que nous. Difficile d’y croire ! Qui peut se payer une telle maison en plein Paris ? Qui peut investir des millions pour se loger ? Bref, elle repart avec sa clique.
A 16h, nous sommes assis-e-s sur le rebord de la fenêtre du 1er étage quand des keufs en tenue nous braquent avec un TASER en nous ordonnant de sortir immédiatement. Nous refusons. Très vite, des ami-e-s, voisin-e-s, squatteuses et squatteurs du quartier arrivent, les renforts des bleus aussi. Des voisin-e-s expriment leur solidarité en témoignant auprès des keufs que nous habitons là depuis une semaine, en refusant d’ouvrir la porte de leur immeuble à la police, en appelant leurs ami-e-s. Cela est malheureusement trop rare pour que nous ne puissions pas les en remercier et saluer leur solidarité, leur prise de position immédiate.
La propriétaire et ses amis de la police finissent par s’en aller après trois heures de siège. Le lendemain, une autre occupation est constatée par la police au 194 rue des Pyrénées, dans le même arrondissement. Une rumeur parle d’une expulsion dès le lendemain pour ce dernier, elle n’a pas, pour l’instant, eu lieu.
Le lendemain, veille de la trêve hivernale, à 7 heures, entre cinquante et cent flics et gendarmes bloquent la rue. Un groupe d’intervention, sans écusson, ni insigne, nous réveille à coup de bélier et de meuleuse. TASER avec pointeur laser. « Personne ne bouge ! Main sur la tête ! Au sol ! Ferme ta gueule ! ». Genou qui t’écrase contre le sol. Serflex ou menottes. Des officiers de police judiciaire débarquent. Notification immédiate de Garde-A-Vue. Il est 7h15. Embarquement immédiat. Pas le temps de réunir des affaires. Dans la rue, du monde aux fenêtres. Nous arrivons tou-te-s les six au commissariat du XIXe transporté-e-s par les gendarmes. Le chien qui était avec nous a disparu. Nous sommes en colère, l’ambiance est tout de suite tendue avec les condés. Pendant l’expulsion, des flics en civil font le pied de grue devant les autres squats du quartier. Nous sommes mis-es en cages. Femmes et hommes séparé-e-s dans des cellules proches. Médecin, avocats, auditions, nous n’avons rien à déclarer, refus empreintes et ADN. Les auditions sont faites par des OPJ du XX°, et le SIT. Certains essaient de la jouer sympa, ils nous paient des clopes, nous proposent des verres d’eau pendant et après les auditions. Nous nous méfions, mais pas assez. Ils veulent notre salive pour leur fichier ADN, le FNAEG. Nous verrons sur un bout de papier « ADN eau : non / ADN mégot : OK ». Nous foutons le bordel en cellule pour obtenir à boire, des tampons périodiques ou pour aller pisser. Cela fonctionne et nous permet de ne pas nous sentir trop impuissant-e-s malgré les provocations, les intimidations, les menaces de tabassage. Au bout de quelques heures, notification d’une garde-à-vue supplétive pour refus de se soumettre aux empreintes. Re-médecin, re-avocats, re-auditions. Nous répondons la même chose refusant les déclarations, les questions, le fichage.
Nous sommes transféré-e-s vers le dépôt de Paris-Cité à 18H30. Au bout d’une heure on voit des vice-procureurs. Une convocation pour un procès le 16 novembre, « destruction du bien d’autrui commise en réunion et refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques intégrés dans un fichier de police » [Ndr. Le procès a depuis été reporté, la proprio, elle, a demandé 17 000€ de réparations !].
Retour sur le banc du dépôt, dans l’attente du « bon de liberté » et de nos fouilles. De retour devant la maison, on ne peut pas récupérer nos affaires : les portes et les fenêtres ont été murées. La voiture est à la fourrière, le chien restera dans une cage durant quatre jours : 300 euros dans leurs poches et une puce sous la peau du chien ! Et ce qui est resté à l’intérieur ? Nous n’en savons rien.
Nous recroisons quelques voisin-e-s avec qui nous échangeons des mots amicaux. « C’est du gaspillage de maison ! », nous dira une gamine du quartier.
Ce que nous voulons, c’est un lieu pour vivre à plusieurs. Un endroit que l’on habite sans vouloir attendre d’avoir les bons papiers, les bons revenus, le bon piston à la mairie. Ce que nous refusons c’est le contrôle. Dans les transports, dans la rue, dans les écoles, face aux institutions qui nous exploitent et qui nous gèrent, le fichage est partout. Les rafles quotidiennes, la vidéo-surveillance, le puçage du vivant, toutes les chaînes sécuritaires, toutes les prisons et le monde qui les a créées. Ce que nous refusons c’est l’exploitation, la spéculation, de devoir payer pour exister, de crever sur l’autel de la propriété privée. Ce que nous saluons, c’est la solidarité des habitant-e-s du voisinage, de nos ami-e-s, de nos camarades.
Les ex-occupant-e-s du 18 rue Olivier Métra.
Nota Bene : Nous nous sommes permis de reprendre ce récit en effectuant des coupes pour des raisons d’espace et non de contenu. Pour aller plus loin, nous vous invitons à le lire dans son intégralité ici: http://nantes.indymedia.org/article/24532
La pantoufle et le marteau
La vie se complique encore un peu plus chaque jour. L’impression d’une spirale qui ne s’arrête pas. De misère en misère. Puis, à chaque tentative de se reprendre un peu en main, c’est l’huissier, le flic, le juge ou l’agent de la CAF qui vient te remettre les idées en place, dans le droit sens de la marche. Faut s’y faire, leur « crise » est aussi réelle qu’un mirage que l’on fait miroiter pour nous chier dans les bottes encore plus et remettre l’argent là où il est vraiment à sa place : dans les coffres cadenassés des banques, dans les poches velues des hommes et femmes aux dents blanches et aux mains rouges. Mais cessons donc de nous inquiéter, les politiciens ont enfin trouvé une solution durable à tous nos problèmes. Nous qui voulions récupérer notre liberté par nos propres moyens, nous nous fourrions le doigt dans l’œil, c’est la sécurité qu’il nous faut, pour commencer, un nouveau commissariat.
Comme les politiciens et leurs amis ne réfléchissent qu’à notre bonheur, ils ont pensé à tout pour les habitants du Nord-Est de Paris, un nouveau commissariat flambant neuf au 32, rue de l’Évangile, dans le XVIIIe arrondissement. Il est censé remplacer celui de la rue Raymond Queneau de Porte de la Chapelle, qui avait été fermé en décembre 2006. Pourquoi pas ? Ce ne sera que le milliardième du coin, une goutte d’acide en plus dans la mer bleue qu’est devenu notre quotidien. Réjouissez-vous, Guéant l’a déjà inauguré début septembre devant quelques contre-manifestants, des militants du Parti Communiste Français (PCF) qui ont enfilé leurs chaussons tout terrain et remis leurs parties de belote à plus tard, le temps d’une action coup-de-poing qui aurait fait rougir leurs barbues idoles.
Mais alors, c’est toute la foule parisienne qui s’amasse et s’émeut : mais quelles sont donc les revendications de nos petits pères du peuple national ? Sur quel sentier lumineux nous guident-il par leurs bras poilus et usés par tant de parties de pétanque à la fête de l’huma ? L’heure de l’égalité a-t-elle enfin sonné ? Allons-nous enfin pouvoir nous émanciper à travers la grandeur industrielle française ? Voyons-voir ! « Manifestation pour exiger la réouverture du commissariat de proximité de la Porte de la Chapelle ». Gloups, on s’y casserait presque une dent sur le bol de soupe au poireau. « Malgré les demandes répétées des habitants du quartier et des élus communistes, il n’a jamais rouvert », souligne Ian Brossat (élu du XVIIIe arrondissement et Président du Groupe Communiste et élus du Parti de Gauche) qui constate que « pendant ce temps-là, l’insécurité explose dans le quartier et l’ancien commissariat croule sous les ordures ».
Le peuple est enfin rassuré, les vieux ennemis partagent un peu de leur vin, les animaux domestiques se mettent à parler, les poubelles se transforment en arbres et les paralysés se lèvent de leurs chaises roulantes. Les communistes ont trouvé la solution. Cette solution, eh ben oui, c’est la police !
« Les habitants ne savent plus où déposer plainte en cas de soucis. Chaque soir, sur ce secteur du XVIIIe, il y a des problèmes avec notamment du trafic de drogue et des occupations de halls d’immeubles, mais personne pour les régler », s’indigne Ian Brossat. « Renforcer la sécurité dans les transports, c’est très bien, mais ce nouveau commissariat avec son effectif de 200 policiers ne réglera pas les problèmes quotidiens sur la voie publique près de la Porte de la Chapelle ». Une leçon pour tous.
Cela nous rappelle les sorties hautes en couleur dont nous avons déjà parlé dans d’autres numéros du bulletin des autres élus de gauche et extrême-gauche du quartier et leur course à l’échalote avec le parti de droite au pouvoir pour créer de nouvelles brigades, placer de nouvelles caméras, durcir les peines, chasser Rroms et rafler sans-papiers, aboutissant au laboratoire répressif grandeur nature qu’est devenu Belleville.
Nous ne voulons ni de la gauche du pouvoir ni de sa droite. Un bon coup de pied dans le cul des fanfarons qui prétendent qu’il est bon pour nous de laisser nos vies entre les mains des politiciens et de fermer gentiment nos gueules comme de doux esclaves sans chaînes. Et transformons les bulletins de vote en gifles vengeresses.
La police tombe sur un os
Courant septembre, en région parisienne, des flics appartenant très probablement aux « services spécialisés » ont tenté d’acheter un squatteur sans-papier pour qu’il devienne un de leurs indicateurs. Mais contrairement à ces chiens de garde du pouvoir, pour nous, la liberté n’a pas de prix. Ils sont donc tombés sur un os.
Je me suis fait arrêter à l’expulsion d’un squat, on était 5 à l’intérieur. Deux d’entre nous ont été embarqués pour défaut de papiers. Pendant l’expulsion tout ce que je demande aux flics est accepté alors que mon pote qui s’est fait arrêter avec moi se fait tout refuser, y compris les toilettes.
Au commissariat, on est assis côte à côte. Mon pote va en cellule sans fouille ni prise d’identité.
Moi, une fille en civil avec des cheveux rouges vient me demander si on peut discuter un peu.
Je dis ok, et en montant je lui demande si elle va me mettre en centre de rétention, m’expulser direct ou me mettre en garde à vue.
Elle me dit que je vais être libéré. Je me trouve dans un bureau avec 3 femmes et 1 homme tous en civil. Le mec était habillé jean levi’s, chemise à carreaux.
Je sais pas si ils faisaient partie des flics du commissariat. Une des femmes prend en note tout ce qui se dit et les trois autres flics me parlent.
Ils me demandent pas mon nom, ils le connaissent. Je leur demande comment, ils me répondent que c’est pas important.
« Pourquoi tu vis en squat ?
– Parce que j’ai pas de maison.
– Comment tu connais les gens du squat ?
– J’avais froid et j’ai frappé. On m’a ouvert.
– C’est pas vrai
– C’est vrai, ça fait deux jours.
– Non, car ça fait longtemps que l’on te connaît.
On me demande pourquoi j’ai été libéré à chaque arrestation, comme je ne réponds pas, elle me dit : » c’est grâce à nous ». J’ai été arrêté cinq fois ces derniers temps, dans trois villes différentes. Ils connaissent les dates d’arrestations. Je pense qu’ils me suivent depuis longtemps. Ils m’ont même libéré pour un vol.
-Tu n’as pas de travail, de logement de papiers ? Si on te l’offre… tu fais quoi ?
-Qui me l’offre ?
-C’est nous, c’est l’état.
– Demain, tu peux gagner les papiers, un bon logement et 2000€/mois. Celle qui me dit ça m’avait demandé si j’avais besoin d’un traducteur, elle m’a caché qu’elle parlait arabe jusque là.
– Pourquoi moi ?
– Mektoub ! (C’est écrit, c’est le destin)
– Ce sera quoi mon travail ?
– C’est pas dangereux : tu vois, tu captes, t’écris.
Ils m’expliquent que mon travail sera de visiter des endroits que je connais déjà et d’autres que je ne connais pas encore. Ils précisent que ça n’est pas dangereux.
Les trois fliques me font signe de dire oui. Ils m’ont laissé le choix, mais en fait ils m’ont fait comprendre que j’étais obligé.
Je dis : « ok si vous libérez mon pote. »
– Tu as un téléphone ?
– Non, mais je peux en avoir un aujourd’hui ou demain.
– On te laisse jusqu’à demain 11h pour venir avec un téléphone. Tu donnes ton numéro, on t’en donne un.
Ce numéro personne ne doit le connaître, il est pour toi. Si tu fais ce numéro d’un autre téléphone c’est ta faute. Si tu racontes ça aussi, ce dont on a discuté doit mourir ici. Maintenant tu réfléchis jusqu’à demain 11h, tu es libéré. »
Je lui demande où est mon pote, il disent qu’il va être libéré. Je descends, à la réception ils me disent que je sors dans 10 minutes.
Ils appellent mon pote et lui disent qu’il peut sortir devant moi.
Je prends mes affaires, la flique me dit d’attendre 10 minutes. Il sort. Elle dit que je peux sortir, me suit, me donne un nom, en disant que c’est le sien, en fait c’est celui d’une chanteuse, et elle me dit « demain tu viens à la réception, tu donnes ce nom et ils t’emmèneront me voir ».
Si tu as le temps tu viens à 10h pour boire un café et discuter.
– Pas de soucis à demain.
Je ne suis pas allé au rendez-vous, jamais. C’est impossible.
On est pas venus pour acheter des papiers, on est venus pour gagner la liberté.
Avec ou sans papier, ce n’est pas la police qui nous empêchera de continuer à lutter.
Face aux arrestations, à l’enfermement, aux expulsions, nous savons montrer notre solidarité, lorsqu’ils s’en prennent à l’un d’entre nous, c’est à tous qu’ils s’en prennent.
Ni soumission, ni collaboration, flics porcs assassins !
Des révoltés avec ou sans papier
Pour qui sonne le glas…
Sur la route de la servitude, la dernière étape n’est pas forcément la plus heureuse.
Ah! Voila, on a trimé toute sa pauvre vie, on s’est crevés à faire des gosses, à les nourrir et maintenant tout est passé, on va enfin pouvoir se réjouir de quelques années de tranquillité avant que ce qui devait arrivait arrive. Sublime perversion du système : nous faire tenir tant d’années dans l’idée qu’on pourra peut-être enfin, un jour, avoir un peu de repos et même nous faire croire que c’est pour cet hypothétique avenir que nous avons du fournir tant d’efforts, non pour gonfler encore la baudruche capitaliste de quelques si précieuses liasses. Mais cette relative accalmie qu’on nous présente comme une carotte de plus n’est peut-être que le début d’un autre cauchemar.
Nous voila devenus, pour la société, un problème de plus à gérer. Il ne faudrait pas qu’on prenne non plus trop de temps aux précieux actifs, d’où la création d’une catégorie sociale « vieux » remise à la gestion de l’Etat, ou du privé. Même si certains préfèrent être entretenus de cette manière afin d’échapper à leur ennui quotidien, ou de ne pas trop subir la maladie, ou encore de ne pas se retrouver esseulés, d’autres qui n’ont pas cette possibilité ou qui la refusent finissent leur vies accompagnés de leurs souvenirs ou, mieux, de leurs proches. La grande majorité des plus de 75 ans évite ainsi de résider dans ce genre d’établissements.
Alors que le pouvoir débat de la dépendance des personnes âgées, notre bonne société à travers l’Etat et le capitalisme voudrait bien aussi s’en occuper pour nous, que ce soit à domicile par des aides-soignants à l’amabilité peu garantie, ou dans de sinistres hospices non moins coûteux. Vous autres pour l’instant, concentrez vous à bosser et sachez que c’est aussi pour eux que vous le faites, alors mettez du cœur à l’ouvrage. Une heure de travail de perdu, c’est ça de moins pour leur confort ou leur santé.
Comme exemple de cette prise en charge, le 5 mai 2011, un projet s’est lancé de construire un de ces mouroirs dans le XIXème, un bien bel exemple de progrès social. La maison de retraite « les jardins de Belleville » qu’on rebaptisera dans le langage du politiquement correct un EHPAD ( Établissement d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) sera située au 259, rue de Belleville, à côté du métro Télégraphe, elle devrait ouvrir ses portes en septembre 2013.
L’établissement, qui devrait comprendre une centaine de places, sera financé et géré par le groupe Humanis, troisième groupe de protection sociale en France, qui fait aussi dans les assurances. Le faux désintérêt dont il fait preuve, dans la veine du capitalisme social, consiste à se faire du bénéfice sur des services vendus comme nécessaires. Ce qui permet en contrepartie à ceux qui font pleinement partie de cette société de se concentrer sur leur vie active.
Voici comment de nos jours la considération pour les autres se convertie en devoirs sociaux puis en services monnayés. Voici comment on gère des humains, comment on dit vouloir alléger un fardeau qu’on a créé par le travail. Voici enfin comment, du berceau à la tombe, on se retrouve privés de liberté et placés sous tutelle.
Le mendiant et le voleur
Sur l’avenue élégante, homme et femme se promènent, parfumés, chics et provocants. Collé au mur, la main tendue, un mendiant quémande d’une voix tremblante et servile :
– Une aumône, pour l’amour de Dieu !
De temps à autre, une pièce tombe dans la main du mendiant qui s’empresse de l’enfouir dans sa poche tout en se confondant en louanges et en remerciements avilissants. Un voleur passant par là ne peut s’empêcher de lui lancer un regard plein de mépris. Le mendiant s’indigne (la déchéance a ses pudeurs) et grogne d’un ton irrité.
– Tu n’as pas honte, gredin, de regarder en face un honnête homme comme moi ? Je respecte la loi. Je ne commets pas le délit de mettre la main dans la poche d’autrui, moi. Ma démarche est sereine, comme tout bon citoyen qui n’a pas coutume de se faufiler, sur la pointe des pieds, dans les maisons des autres à la faveur de la nuit. Je n’ai ni à me cacher, ni à fuir le regard du gendarme. Le nanti se montre bienveillant à mon égard et quand il jette une pièce dans mon chapeau, il me tapote l’épaule en murmurant : « Brave homme ! ».
Le voleur ajustant son chapeau, grimace de dégoût, lance un regard alentour et réplique au mendiant :
– N’espère pas me faire rougir, vil mendiant ! Toi, honnête ? L’honnêteté ne vit pas à genoux, prête à ronger l’os que l’on daigne lui jeter. Elle est fière par excellence. Je ne sais si je suis honnête ou non, mais je dois t’avouer qu’il m’est insupportable de supplier les riches de m’accorder, au nom de Dieu, les miettes de tout ce qu’ils nous ont volé. Je viole la loi ? C’est vrai, mais elle n’a rien à voir avec la justice. En violant les lois promulguées par la bourgeoisie, je ne fais que rétablir la justice bafouée par les riches, qui volent les pauvres au nom de la loi. Si je m’empare d’une partie de ce qu’ils ont pris aux déshérités, je n’accomplis par là qu’un acte de justice. Si le riche te tapote l’épaule, c’est que ton abjecte bassesse et ta servilité lui garantissent la pleine jouissance de ce qu’il a volé, à toi, à moi, à tous les pauvres du monde. Les riches souhaitent ardemment que tous les déshérités aient l’âme d’un mendiant. Si tu étais vraiment un homme, tu mordrais la main qui te tend un bout de pain. Je te méprise.
Le voleur cracha et se perdit dans la foule. Le mendiant leva les yeux au ciel et gémit :
– Une aumône, pour l’amour de Dieu !
Ricardo Flores Magón
Regeneración, no. 216 , 11 décembre 1915
Lucioles n°4 (numéro spécial) – août/septembre 2011
Cliquer sur l’image pour lire le pdf
Pour lire le bulletin texte par texte : Numéro 4