« Guerrier boulimique ». C’est ainsi qu’un journaliste quelconque qualifie le bonhomme dont un journal quelconque dresse le portrait en ses dernières pages. Crâne dégarni, yeux abattus de chien battu, costard impeccable, mine de cinquantenaire sous valium, notre cador en imposerait presque. Et pour cause ! C’est que nous n’avons pas affaire à n’importe qui, mais à Nicolas Michelin. Vous nous direz : « Nicolas qui ? » Comment ! Vous ne connaissez pas Nicolas Michelin ? Scandale et sacrilège ! Ce guerrier boulimique, aux chevilles qui enflent, sans galons, mais dont le portefeuille gonfle tout à coup, en proportion directe avec les tonnes de bombes larguées ici et là –vous allez vite comprendre pourquoi-, mais avec précision et chirurgie, bien entendu.
Alors, vous n’avez vraiment jamais entendu parler de lui ? Écoutons donc un des ses admirateurs : « Michelin est un combattant qui ne cède rien […] Le métier d’urbaniste est encore plus difficile que celui d’architecte. C’est faire la guerre. » Nom d’un petit bonhomme ! Une autre admiratrice prend le relais du tressage de louanges, parlant quand à elle d’un véritable « condottiere ». Une bien belle image, puisque les condottieri étaient des chefs d’armées de mercenaires au Moyen Age, mettant leur savoir-faire militaire au service d’États, qui les récompensaient en argent, terres et titres.
Mais laissons plutôt l’homme en question se définir lui-même : « L’argent ne m’intéresse pas, je vis le plus léger possible, dans un deux pièces zen à Paris, dans une cabane forestière à Fontainebleau ». Un homme bien, humble dans le succès, la morale infaillible et droite comme les bâtiments qu’il conçoit. Oui, notre homme est architecte. Il conçoit des bâtisses qui constituent le cœur de nos charmantes méga-métropoles modernes. Michelin est opportuniste. Élevé dans une famille « de droite, catho, humaniste, avec le sens de l’économie ». Hum. Un mélange bien complexe. Le monsieur est passé par Jussieu où, surprise, « il n’a pas été gauchiste ». Maintenant monsieur vote écolo. Explication : « On passait nos vacances dans la forêt de Fontainebleau. Mon père se baladait toujours avec des glands dans les poches. Je suis donc naturellement écologiste ». Ahhh, c’est donc ça l’écologie, bâtir des monstres de béton, mais en fourrant des glands dans ses poches.
Bordeaux, Saint-Dizier, Dunkerque, Lille, Metz, Nancy, Tours, Grenoble, rares sont les villes où notre condottiere au bulldozer ne s’est pas mis au service de l’urbanisme, qui est, rappelons-le, « faire la guerre ». Oui, faire la guerre. Quoi de plus étonnant donc, à ce que notre triste sire figure sur la liste des architectes s’étant portés candidats à l’élaboration du futur ministère de la défense dans le quartier Balard, 15ème arrondissement de Paris. Le « Pentagone à la française» doit être sur pied d’ici fin 2014. Ah pardon, « ministère de la Paix en Europe ». Car c’est bien connu, « La Guerre, c’est la Paix ». Mixité sociale, guerre (aux pauvres) ; « L’homme au centre de la ville », la guerre ; « logements sociaux », la guerre.
Notre chevalier capitaliste-écolo est donc à la tête d’une armée, pardon, d’une agence de 100 soldats, pardon, salariés, située dans le 10ème arrondissement (9, Cour des Petites Écuries plus précisément) et répondant au doux nom d’Anma. C’est toujours bon à savoir… Comme il est bon de savoir que notre triste sire est « parano, comme tout le monde, et donc [qu’il] se protège ». Bon de savoir également que l’entreprise qui va réaliser, en plus d’un gros paquet de sous, les plans guerriers de Nicolas Michelin n’est autre que Bouygues, adepte elle aussi de la guerre contre les pauvres, puisque constructrice émérite de très nombreuses prisons en tout genre (taules, centres de rétention, écoles…). Et qui cette fois empoche un contrat qui dépasse les 3 milliards d’euros, pour 467 000 m2 de bureaux qui accueilleront 9 300 salariés, plus le futur loyer compris entre 100 et 150 millions d’euros, pendant 27 années.
Bon de savoir encore que son confrère, Jean-Michel Wilmotte (agence d’architecture au 68 rue Faubourg-Saint-Antoine, dans le 12éme à Paris) ainsi que les Ateliers 2/3/4, vont l’assister dans cette juteuse besogne, pour laquelle d’autres requins et autres « gladiateurs aguerris » (des architectes donc) étaient également sur les rangs : Norman Foster pour Eiffage, et Dominique Perrault pour Vinci.
Bon de savoir que tous ces tristes sires ont bien sûr un nom et aussi des adresses, pour leur dire toute la haine que nous inspirent les États, leurs sales guerres de pacification sociale, les marchés qui y sont liés, et tous leurs collaborateurs, dussent-ils se présenter sous le masque « humaniste et écolo ». La haine de l’urbanisme, qui n’est rien d’autre que la continuation de la guerre sociale sous d’autres formes.