Métro et bus ne sont pas des lieux sûrs pour les pauvres. Les contrôleurs traquent les fraudeurs, des hordes de flics de différents uniformes pourchassent les personnes qui n’ont pas les bons papiers ou un toit sous lequel se poser. Et il y en a même, parmi ces sales sbires, qui se plaignent parfois lorsque quelqu’un ose réagir. Sur un des mille blogs qui infestent le monde virtuel, un contrôleur RATP se lamente d’avoir été victime d’une « agression physique et verbale ». Par un parallèle parlant entre contrôleurs et flics, il déplore l’agressivité diffuse envers eux et, plus généralement, tous ceux qui portent un uniforme. Notre très perspicace guignol suggère à la RATP de « faire une campagne sur les contrôleurs », de façon à ce que les gens les accueillent « avec un beau sourire » ! Certes, tous ceux et celles, de plus en plus nombreux, qui fraudent métro, tram et bus partageront l’idée d’une campagne (de dératisation !) contre les contrôleurs. C’est une simple et sincère haine viscérale envers les larbins de la RATP, qui nous harcèlent pendant les déplacements auxquels nous sommes généralement contraints. Mais le rôle de la RATP et de ses semblables dans le fonctionnement de ce monde n’est pas des moindres.
La Régie autonome des transports parisiens est l’entreprise d’État qui a pour tâche de trimbaler de droite à gauche, de leurs dortoirs-cages à lapins aux lieux où ils doivent bosser ou consommer, aller-retour, les habitants de la région parisienne, notamment les pauvres. D’ailleurs, les énormes (et toujours plus envahissants) espaces publicitaires dans les transports en commun en font un lieu privilégié de la prédisposition à la consommation. Dans une métropole qui n’est guère faite à la mesure des individus, mais en fonction du cycle production-consommation et du contrôle du troupeau humain, les transports en commun sont primordiaux. À côté des transports de marchandises et matières premières, d’énergie et d’informations, il est également nécessaire de déplacer cette espèce particulière de matière première et de marchandise que sont les travailleurs et les consommateurs. Voilà donc la RATP et les autres gérants des transports (la SNCF, les compagnies aériennes et les gérants des aéroports, etc.). Tous essayent de nous vendre le mythe de la « liberté de mouvement ». Mais la gentille expression « métro-boulot-dodo » devrait être remplacée par une plus correcte : « produit-consomme-obéit », où les transports en commun sont les tirets entre les mots.
Obéir. N’oublions pas, en effet, l’autre aspect fondamental de la gestion des transports, celui du contrôle et de l’éventuelle répression. Métro, bus et tram sont littéralement remplis de caméras de surveillance. A Paris, la RATP dispose de 8200 caméras dans les métros et RER, auxquelles il faut ajouter les 18 000 embarquées à bord des 4300 bus. A ces vidéos ont accès le centre de contrôle de la RATP et aussi, automatiquement, les keufs de la Brigade des réseaux ferrés. En temps normal, les vidéos sont conservées 72 heures, mais une fois qu’elles sont réquisitionnées par la police il n’y a plus de limites. De plus, les cartes RFID, comme le Pass Navigo, enregistrent et conservent une trace de tous les déplacements de leurs utilisateurs. Et que dire des contrôleurs et agents de sécurité qui sévissent dans les stations ? Ce n’est pas un hasard si la RATP est un important rouage de la machine à enfermer et expulser des sans-papiers. Aux contrôles au faciès suit très souvent l’appel des flics, qui embarquent ces personnes (car l’absence des bons papiers est bizarrement souvent associée au manque de thunes, donc de billet !). Du coup, l’absence de ticket se solde par la case Centre de rétention, parfois en passant par celle du tabassage de la part des molosses de la RATP Sûreté ou des flics, toujours par celle de l’humiliation prodiguée par les deux.
Contrôle et répression sont un ensemble de structures physiques et organisationnelles et de rapports sociaux. Il ne s’agit pourtant pas d’entités abstraites. Ils s’appuient sur des outils bien concrets (caméras, portiques…) et surtout sur l’œuvre parfois effrayante et exemplaire mais bien plus souvent anodine et quotidienne d’hommes et de femmes. Lorsqu’on utilise les transports en commun on ne peut pas éviter d’y voir des uniformes. Sur le réseau exploité par la RATP, on trouve en service environ 1200 contrôleurs « normaux », on ne sait pas combien d’agents CSA (Contrôle Sécurité Assistance, mi-vigiles mi-contrôleurs, ceux en gilets vert) et un millier d’agents du GPSR (Groupe de protection et de sécurisation des réseaux, les cow-boys de la RATP Sûreté). Et si on doit prendre des lignes de lointaine banlieue, celles gérées par la SNCF, on y croise d’autres contrôleurs et d’autres mercenaires, les quelques 1200 agents de la SUGE (la Sûreté ferroviaire). Et est-ce qu’il y a besoin de dire qu’il y a aussi plein de flics ? 1200 chtars de la Brigade des réseaux ferrés (SDRPT Sous-direction régionale de la police des transports) sont affectés au réseau d’Île-de-France. La BAC patrouille elle aussi dans le métro, dans les bus ou encore se poste juste à la sortie des stations, comme le font la BST à Belleville ou les CRS à Barbès. Contrôleur ou agent de sécurité, ce sont des métiers pour lesquels il n’y a pas de crise. La RATP les recrute en permanence. Les spécificités demandées pour devenir contrôleur ? Ne jamais avoir eu de problèmes avec la justice (c’est-à-dire être un bon citoyen, prêt à collaborer avec le Pouvoir), être capable de regarder un billet, de filer une amende, d’emmerder les pauvres. Ils appellent ça la « maîtrise du territoire ». C’est simple, il suffit d’être un lâche ordinaire. Par contre, pour devenir un nervi du GPSR il faut être bien costaud, un vrai gorille (l’agressivité qui va avec mais l’intelligence et l’empathie du primate en moins). Leur tâche est en effet d’« assurer en collaboration avec la police la mission de sécurisation sur les réseaux de la RATP ». La chasse aux pauvres, quoi. Du coup, ces mercenaires sont en uniforme bleu d’« ordre public », assermentés et armés. On les voit exhiber tonfas, gazeuses et flingues. Les bouffons de la presse croient nous impressionner en disant que le niveau de prestation physique qu’on demande aux agents du GPSR est équivalent à celui des super-flics du GIGN. Mais est-ce que ces lèche-culs se souviennent de l’émeute qui a eu lieu à la Gare du Nord fin mars 2007, quand les chiens de la RATP ont couru se cacher derrière les keufs (qui en ont morflé) ? Leur sale besogne leur rapporte 1650€ bruts (hors primes) pour 13 mois pour les contrôleurs en début de carrière, et 1800€ pour les mercenaires du GPSR.
Face aux contrôles dans les transports en commun, on peut sentir une méfiance et une défiance épidermiques diffuses : ce sont des emmerdeurs, qu’ils nous lâchent. D’accord, mais il ne s’agit pas seulement de ne pas payer les transports. Il faut aussi faire payer ceux qui nous transportent comme des objets ou du bétail à l’abattoir de ce monde de merde. Il faut, et c’est possible, mettre un grain de sable dans le bon fonctionnement des transports. Tout en n’oubliant pas que la RATP (et la SNCF etc.), comme toute structure d’exploitation et de répression, est faite de plein de petits rouages : bâtiments, véhicules, ameublement, portiques, machines, caméras, écrans… et êtres humains. Surtout des êtres humains. Et parmi eux il y en a certains, comme les contrôleurs et les agents de sécurité, qui ont bel et bien choisi (et qui l’affirment) leur rôle de flicaille. Il s’agit d’individus qui ont fait et font des choix, et en portent la responsabilité. Ils ont un nom et une tronche.
De notre côté, si être pauvre n’est presque jamais un choix, avoir pleine conscience de la guerre sociale en cours et y prendre partie, ne pas se résigner, mais reconnaître et viser les différents ennemis, c’est bien un choix, ça aussi.
Voilà donc quelques raisons en plus de s’en prendre aux contrôleurs et agents de sécurité. Ils font un taf de flics, ils se croient flics, qu’on les traite comme ils le méritent ! Bien sûr, avec un beau sourire…