« Comme le glaive de la justice dans le ciel de la capitale » – À propos du futur palais de Justice de Paris

Maldita sean las leyes,
Y los que las hayan hecho.

Un premier lieu commun voudrait que l’État soit ruiné, que les caisses soient vides. C’est faux. Le grand Léviathan est encore capable de sortir de ses fonds de tiroirs un bon milliard d’euros pour soutenir de grands projets.
Un second lieu commun voudrait que le même État se moque de l’avenir des pauvres gens. Encore faux ! Le milliard d’euros en question sera dédié à financer une grand infrastructure destinée-justement- aux pauvres. Une infrastructure qui « constituera un facteur important de dynamisme économique pour Clichy-Batignolles (le lieu d’implantation du futur palais) et concourra à son attractivité ». On ne saurait mieux dire…8200 « visiteurs » quotidiens sont attendus dans cette merveille architecturale en devenir. Des visiteurs variés, bigarrés. Des animateurs en toges –rouges, blanches et noires- et en uniformes, d’un côté. De l’autre…moi, toi, vous : le bétail habituel, et potentiel, de ce genre de lieu, c’est-à-dire ceux et celles qui ne rentrent pas dans le cadre très étroit du respect de la loi et de l’ordre qu’elle protège. Objectif des promoteurs de cet attrayant projet : « améliorer sensiblement l’exercice de la justice ». Trop exigus, les anciens abattoirs de la Cité ? Ou serait-ce qu’une hausse « sensible » du nombre de brebis galeuses, à remettre dans le droit chemin, soit prévue pour les temps à venir ? On opte volontiers pour la seconde hypothèse, sachant que dans le même temps, l’État prévoit un énième « Plan Prisons », visant à augmenter le « parc pénitentiaire » de 30 000 nouvelles places pour atteindre les 80 000 en 2017. Ça en fait du monde à condamner !
Heureusement pour lui (et malheureusement pour nous), l’État n’est jamais seul quand il s’agit de réaliser ses plus grands rêves. Comme nous l’avions vu dans un numéro précédent (voir le texte sur Nicolas Michelin dans Lucioles n°3), il se trouve toujours de gentils collaborateurs (pas bénévoles, faut pas charrier) pour associer leur nom à l’infamie. Futur palais de Justice, futur ministère de la Défense, guerre et répression, l’argent n’a pas d’odeur, du moins pour les vautours qui font le choix de saisir le magot. Dans le cas qui nous intéresse ici, on retrouve –ô surprise !- deux parmi la fameuse « bande des trois », à savoir Bouygues et Vinci, Eiffage ayant sans doute trop à faire dans la construction de nouvelles taules. La chasse au trésor est un jeu vraiment prenant. On trouve donc, au côté des deux constructeurs pré-cités, deux cabinets d’architectes : Renzo Piano pour Bouygues Bâtiment Ile-de-France, et l’Agence Marc Mimram, en partenariat avec Loci Anima (agence de Françoise Raynaud, architecte), pour Vinci Construction France.
Oui, ça en fait du beau monde, mais l’enjeu est de taille : près de 90 000 m2 de bureaux et de salles d’audience, dont une tour de 150 mètres de haut (« comme le glaive de la justice dans le ciel de la capitale », selon les mots d’un des bâtards participant au projet, et malheureusement resté anonyme). Et, cerise sur ce gâteau dont le goût s’annonce amer : le futur siège de la Direction Régionale de la Police Judiciaire (DRPJ), comprenant entre autres la Brigade de Répression du Banditisme (BRB), l’antigang, et la Brigade Criminelle, dont un des vieux briscards regrette à l’avance que « l’endroit n’a pas le même cachet » que le bon vieux 36 Quai des Orfèvres. Nous faisons pleine confiance à tous ces sacs à merde de juges et flics : très vite, ces locaux tous neufs sentiront le moisi de la répression qu’ils affectionnent, et les odeurs de pisse, de sang, de larmes et de sueur effaceront celle de la peinture fraîche, et ils retrouveront le bon vieux cachet.
Ce projet, qualifié en 2009 de « chantier présidentiel » par l’ex premier flic de France, et de « plus gros chantier jamais mené par le ministère de la Justice » par Michel Mercier (l’actuel Garde des Sceaux), absorbera à lui seul 15 % du budget de la Justice. La signature du contrat de réalisation devrait être rendue publique à la fin de l’année par le conseil d’administration de l’Établissement Public du Palais de Justice de Paris (EPPJP), qui comprend les hauts magistrats de cour, le barreau, la mairie et la préfecture de Paris. Les travaux sont prévus pour durer jusqu’en 2015.
D’ici-là l’État n’arrêtera pas sa guerre aux pauvres, permanente, à Paris comme ailleurs, et les vieilles geôles du Dépôt de la Cité feront bien l’affaire en attendant.
De notre côté, nous n’attendrons pas non plus gentiment qu’on nous trimballe de travail en garde-à-vue, de contrôle en tribunaux, de domination et de soumission quotidiennes en prison. Nous souhaitons contribuer à intensifier la révolte, non seulement contre la justice, mais également contre l’ensemble des conditions sociales qui nous sont faites, contre la gestion de la misère dont la justice participe.

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Où trouver les vautours :

ÉquipeBouygues :
. Renzo Piano Building Workshop, 34 rue des Archives, 75 004 Paris.
. Associés : Exprimm (19, rue Stephenson ,78 066 Saint-Quentin-en-Yvelines), DIF Infrastructure II BV (54 rue de Ponthieu, 75008 Paris), Uberior Infrastructure 4 Limited, SEIEF et EP12.

Équipe Vinci :
. Agence Marc Mimram, 21 rue de la Fontaine-au-Roi, 75 011 Paris.
. Loci Anima – Françoise Raynaud, 92 rue de Rochechouard, 75 009 Paris.
. Associés : Caisse des Dépôts et Consignations (56 rue de Lille, 75007 Paris), Barclays Europe Infrastructure Capital et Icade.

Établissement public du palais de justice de Paris :
30 rue du château des rentiers, 75 013 Paris.

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