Deux constats : le premier est qu’il ne fait pas bon être pauvre à Paris et dans sa banlieue (mais l’a-t-il déjà été ?). Le deuxième est que le pouvoir intensifie sa chasse aux gueux, afin d’effacer une misère qu’il crée par ailleurs. Un troisième constat peut-être, qui n’est pas superflu en ces temps où l’anti-sarkozisme remplace toute critique réelle de la société : la gauche est loin d’être en reste lorsqu’il s’agit de militariser le contrôle de nos vies, bien au contraire.
Dans le premier cas, c’est le maire écolo de Sevran (Gatignon) qui demande une intervention de casques bleus pour pacifier «sa» ville en proie à des troubles, sur le modèle du Kosovo. Dans le second, ce sont les maires socialistes des XXe et XIe arrondissements (Calandra et Bloche) qui pressent le préfet de police d’envoyer ses pandores casqués pour nettoyer le terrain. Dans le premier cas, il s’agit d’éviter les règlements de compte ; dans le second, d’empêcher la tenue d’un marché sauvage de vendeurs à la sauvette. Dans les deux cas, on crie à la «ghettoïsation» progressive des quartiers. Dans les deux cas, tout prétexte est bon pour habituer les populations à voir les villes se transformer en casernes à ciel ouvert ; pour diffuser la peur, afin de légitimer le contrôle de l’Etat ; pour pousser les pauvres à détester les plus pauvres d’entre eux, ou les forcer à faire leurs bagages, sachant qu’il n’y a aucun paradis pour eux dans un monde dominé par l’argent.
En ce qui concerne Belleville, il y a eu dans un premier temps la création de la Brigade Spécialisée de Terrain (Voir l’article sur le sujet dans ce numéro), puis la présence permanente de plusieurs fourgons de CRS répartis entre Ménilmontant, Couronnes, Belleville et Colonel Fabien. Dans ce «rapport de force démocratique» – dixit la maire du XXe lors d’un conseil de quartier – et malgré quelques vaines indignations de son aile gauche, il s’agit de draguer les commerçants du quartier, afin que le seul type de marché autorisé soit celui susceptible d’être rentable économiquement comme politiquement. En clair, mieux vaut un bon vieux vide-grenier bien folklorique et propret, autorisé et attirant les bobos et autres touristes, qu’une cohorte de gueux incontrôlables refourguant quelques vieux vêtements pour une poignée d’euros. Car le musée pour classes moyennes, ce décor dont ils rêvent de recouvrir le nord-est parisien par l’expulsion des pauvres hors des centre-villes vers les périphéries, risquerait d’en prendre un sérieux coup, et les affaires (toujours qualifiées d’ «intérêt général» par les puissants) de se retrouver menacées.
À la limite, on créera un «carré des biffins», de préférence en bordure de périphérique, là où l’on ne les verra pas trop, pour se donner bonne conscience. Au passage, on pourra les trier pour créer encore une nouvelle hiérarchie sur les bases du pouvoir (avec ou sans papiers). Mais toujours «régulé», afin de rester un «élément indispensable à la chaîne de la consommation», comme le rappelle un vrai biffin, bien responsable, toujours lors du conseil de quartier.
Aussi le 20 mai dernier, une mini-manif réactionnaire composée d’associations de riverains, de petits commerçants et de vils élus a parcouru le quartier afin d’obtenir des renforts policiers, tandis que nombre de magasins restaient fermés en soutien à cette mesquine démonstration citoyenne.
Le 1er juin, les flics tentent à leur tour un « rapport de force démocratique » au niveau du métro Couronnes. Sortant les flash-ball pour dégager le terre plein central du boulevard de tous ses vendeurs à la sauvette et autres pauvres, une baston se déclenche alors en réaction à cette agression, au cours de laquelle plusieurs personnes seront blessées par les coups et les tirs des policiers, rameutés en grand nombre. Au même moment, la mairie de Paris reprenait le contrôle du gymnase rue de la Fontaine-au-roi occupé par des migrants tunisiens, en y envoyant ses vigiles (voir le texte sur la lutte des tunisiens sans-papiers dans ce numéro).
Face à cette offensive, nous n’allons pas nous ériger en apologistes de la misère, ou comme des défenseurs du «marché libre» de Belleville, justement parce que si misère et marché (dans tous les sens du terme) vont si bien ensemble, la liberté, elle, réside ailleurs.
Mais au-delà de telle ou telle autre catégorie d’indésirables visée par ces diverses offensives, on finira tous par se prendre la militarisation du quartier en pleine gueule.
À bon entendeur donc…